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précisément le peuple qu’on désirait instruire, n’auraient pas voulu fréquenter les écoles protestantes.

Une puissante association s’était fondée, en 1811, sous le nom de société de Kildare, dans la pensée de répandre l’instruction en dehors de tout esprit de secte et de propagande. Le comité directeur était composé de 21 anglicans, de 4 quakers, de 2 presbytériens et de 2 catholiques. Il avait adopté pour principe de ne se guider ni dans le choix des maîtres ni dans l’admission des élèves par aucune considération dogmatique. Pendant les heures de classe, on lisait l’Écriture sainte, mais sans aucun commentaire. Tout livre portant la moindre empreinte de controverse religieuse était strictement interdit. C’était un admirable exemple de tolérance sur cette terre d’Irlande si souvent ravagée et ensanglantée par les haines furieuses des sectes rivales.

Ce fut à la société de Kildare que l’état confia le soin de distribuer des subsides. Le succès fut d’abord très grand. De 1817 à 1825, on organisa 1,490 écoles fréquentées par plus de 100,000 élèves ; mais le succès même ne tarda pas à soulever l’animosité de la fraction la plus fanatique des deux communions. Les anglicans étaient mécontens de voir l’égalité établie entre eux et les ministres du culte catholique. Les ultramontains auraient voulu détruire l’enseignement national au profit des corporations religieuses ; les catholiques modérés au contraire comprenaient très bien que, sans le secours de l’état, il était impossible de répandre les lumières dans ces comtés pauvres qui n’auraient jamais pu entretenir les instituteurs dont ils avaient un si urgent besoin. Après des discussions violentes et prolongées, les catholiques des deux partis se décidèrent à en appeler à l’autorité infaillible aux décisions de laquelle tous deux faisaient profession d’obéir. Le pape Grégoire XVI répondit en 1841 par une lettre que la propagande adressa aux évêques d’Irlande. Cette réponse mérite attention, car elle montre que, même dans une question aussi grave que celle de l’enseignement primaire, Rome se décide à transiger quand elle croit y trouver son intérêt[1]. Le pape ne condamne pas l’école laïque, il exige

  1. Un membre catholique du parlement anglais nommé par l’Irlande, M. O’Hagan, démontrait dans les termes suivans la nécessité du système actuel pour ses coreligionnaires : « Les frères de la doctrine chrétienne, quelque grand que soit leur dévouement ne peuvent fournir assez d’instituteurs pour les énormes besoins de l’enseignement. Il faut choisir entre un système d’instruction indépendant des cultes ou une union intime avec les sectes ; or ce dernier régime serait impossible en Irlande, car il fait dépendre les subsides de l’état du montant des contributions particulières. Qui donc, connaissant la misère du peuple dans ce pays, voudrait en voir l’adoption ? Les conséquences d’une semblable réforme seraient désastreuses. Les protestans irlandais, qui possèdent la richesse et les terres, seraient largement subsidiés par l’état, et ils fonderaient dans chaque paroisse une école destinée à faire des prosélytes, bien supérieure en ressources aux nôtres et par conséquent plus attrayante pour les pauvres. »