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siècle, non plus le Farinata ou l’Alighieri de l’ancienne Florence, l’âme toute militante, raidie ou exaltée jusqu’à l’extrémité de sa force, mais le génie équilibré, tempéré, cultivé, qui, par l’aimable ascendant de sa sereine et bienveillante intelligence, assemble en une gerbe toutes les beautés et tous les talens. C’est un plaisir que de les voir fleurir autour de lui ; d’une main ils restaurent, de l’autre ils produisent. Déjà depuis Pétrarque on s’est mis à rechercher les manuscrits grecs et latins, et maintenant on va les déterrer dans les couvens d’Italie, de Suisse, d’Allemagne et de France. On les déchiffre, on les répare avec l’aide des savans de Constantinople. Une décade de Tite-Live, un traité de Cicéron est un précieux cadeau que sollicitent les princes ; tel lettré a passé dix années en des voyages de circumnavigation dans les bibliothèques lointaines pour retrouver un livre perdu de Tacite ; on compte comme autant de titres de gloire immortelle les seize auteurs que le Pogge a retirés de l’oubli. Un roi de Naples, un duc de Milan prennent pour premiers conseillers des humanistes, et voilà qu’au contact de cette antiquité reconquise la rouille scolastique tombe de toutes parts. Le beau style latin refleurit presque aussi pur qu’au temps d’Auguste. Quand de pénibles hexamètres et des épitres lourdement prétentieuses de Pétrarque on passe aux élégans distiques de Politien ou à la prose éloquente de Valla, on se sent pénétré d’un plaisir presque physique. Les fruits avortés et moisis du moyen âge, tous aigris par l’hiver féodal ou rancis par l’air étouffé du cloître, se trouvent tout d’un coup savoureux et mûrs. Les doigts et l’oreille scandent involontairement la marche aisée des dactyles poétiques et l’ample déroulement des périodes oratoires. Le style est redevenu noble en même temps qu’il est redevenu clair, et la santé, la joie, la sérénité, répandues dans la vie antique, rentrent dans l’intelligence humaine avec les proportions harmonieuses du langage et les grâces mesurées de la diction. De la langue savante, elles passent à la langue vulgaire, et l’italien renaît à côté du latin. Dans ce nouveau printemps, Laurent de Médicis est le premier poète, et c’est chez lui qu’apparaît d’abord non-seulement le nouveau style, mais encore le nouvel esprit. Si dans ses sonnets il imite Pétrarque et continue les soupirs de l’ancien amour chevaleresque, il peint dans ses pastorales, dans ses satires, dans ses vers de société, la vie philosophique et raffinée, les beautés gracieuses de la campagne ornée, les délicats plaisirs des yeux et de l’intelligence, tout ce qu’il aime, tout ce qu’autour de lui l’on aime, et ses vers, par leur développement aisé, riche et simple, témoignent d’une main sûre, d’un siècle adulte et d’un art complet. Au-dessus de cette riche harmonie s’élève une note joyeuse, qui est celle du temps et indique la pente fatale sur laquelle on va glisser : il amuse la foule, et compose pour