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vont point s’accroissant, s’alternant, se fondant, comme dans les peintures ordinaires. Chaque vêtement est d’une seule teinte, un rouge auprès d’un bleu, un vert vif auprès d’un violet pâle, une broderie d’or sur une amarante foncée, comme les sons simples et soutenus d’une mélodie angélique. Le peintre en jouit ; il ne trouve jamais pour ses saints des couleurs assez pures et des ornemens assez précieux. Il oublie que ses figures sont des images, il leur rend les soins minutieux d’un fidèle et d’un adorateur, il brode leurs robes comme des vêtemens réels, il fait serpenter sur leurs manteaux des guillochures aussi fines qu’un ouvrage d’orfèvrerie, il peint sur leurs chapes de petits tableaux complets, il s’applique à dérouler délicatement leurs beaux cheveux pâles, à étager leurs boucles, à faire tomber régulièrement les plis des tuniques, à arrondir purement sur leurs têtes la tonsure monacale, et il entre dans le ciel à leur suite pour les aimer et les servir. En effet, il est lui-même la dernière des fleurs mystiques. Ce monde qui l’entourait et qu’il ne connaissait pas achevait de s’engager dans la voie contraire et, après un court accès d’enthousiasme, allait brûler son successeur, un dominicain comme lui, le dernier chrétien, Savonarole.


Uffizi, 14 avril.

Qu’est-ce qu’on peut dire d’une galerie où il y a treize cents tableaux ? Les impressions qu’on emporte de ces grands magasins sont trop diverses et trop nombreuses pour être transmises par l’écriture. Les Uffizi sont un dépôt universel, une sorte de Louvre : peintures de tous les temps et de toutes les écoles, bronzes, statues, sculptures, terres cuites antiques et modernes, cabinet de gemmes, musée étrusque, portraits des peintres par eux-mêmes, vingt-huit mille dessins originaux, quatre mille camées et ivoires, quatre-vingt mille médailles. On y va comme dans une bibliothèque ; c’est un abrégé et un spécimen de tout. On va aussi ailleurs, au Palais-Vieux, au palais Corsini, au palais Pitti. Les notes s’amoncellent, mais je ne trouve rien à dégager de cette masse. Il me semble bien que j’ai complété, corrigé, nuancé quelques idées antérieures, mais on n’écrit pas des corrections, des complémens, des nuances.

Ce qu’il y a de plus simple, c’est de laisser là l’étude et de se promener pour son plaisir. On monte le grand escalier de marbre, on passe devant le célèbre sanglier antique, on entre dans le long corridor en fer à cheval peuplé de bustes et tapissé de peintures. Vers dix heures du matin, les visiteurs sont rares ; les gardiens silencieux se tiennent dans les coins ; il semble que véritablement on