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gouvernement chinois un nouveau traité, bientôt ratifié à Pétersbourg le 1er janvier 1861. Par ce traité, la Chine cédait encore de vastes possessions sur l’Amour, et reconnaissait comme frontière en Mandchourie le cours de la petite rivière de Tumen. Le tsar devenait le maître d’un port ouvert à la navigation pendant tout l’hiver, et y fondait la ville de Vladi-Vostok, le dominateur de l’Orient. Voilà de quelle façon, et sans brûler une amorce, le gouvernement russe reculait en peu d’années jusqu’au 42e degré dans la mer du Japon sa frontière, située encore en 1855 dans la mer d’Okhotsk, au (52e degré de latitude nord. Il n’est rien de tel qu’une rectification de frontières quand on a l’Empire-Céleste pour voisin !

Devant de si prodigieux changemens territoriaux, un soupçon vient naturellement. On serait tenté de croire qu’en se dépouillant si facilement au profit de la Russie, la Chine ne faisait peut-être que payer des services secrets rendus ou tout du moins promis. Ce n’est pas cependant absolument exact, ou plutôt c’est là encore un côté curieux de ces étranges relations. Il est bien vrai que le gouvernement russe avait promis de mettre à la disposition du Céleste-Empire quarante mille carabines et cinquante canons ; mais canons et carabines, expédiés trop tard ou arrêtés à dessein en route, n’arrivèrent qu’après la fin de la guerre, et ils furent refusés par les autorités chinoises elles-mêmes. La mission militaire russe, composée d’officiers de différentes armes, et qui devait organiser, instruire l’armée chinoise, ne servit à rien. Le chef de cette mission, le colonel Baluzek, ne put jamais s’entendre avec les autorités du pays, et s’il resta à Pékin, ce ne fut plus comme instructeur militaire, ce fut comme chargé d’affaires de Russie pendant l’absence du général Ignatief, tandis que les autres officiers attachés à la mission regagnaient leur patrie.

Il est bien vrai aussi qu’à plusieurs reprises, durant ces années, la Chine avait demandé au gouvernement moscovite son assistance contre les barbares de l’Occident ; mais à ces appels naïfs la diplomatie russe avait invariablement répondu en substance qu’il fallait réserver le secours matériel de la Russie comme une dernière ressource pour des circonstances plus extrêmes, et que pour le moment son assistance diplomatique était infiniment plus utile, qu’en servant d’intermédiaire la Russie était à même de faire tourner au profit du céleste empereur l’influence qu’elle conservait sur ses ennemis, mais que pour obtenir ce résultat elle devait paraître favorable aux alliés et entretenir avec eux les meilleures relations. — « D’ailleurs, ajoutaient les envoyés du tsar, nous serons toujours votre dernier appui, comme nous sommes déjà vos seuls amis fidèles et désintéressés. Il suffit de comparer notre manière