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démonstrations européennes, qui seraient probablement d’ailleurs sans effet. De là attaques sur attaques, violations de traité suivies de représailles qui ont mis d’autant plus en relief la modération du gouvernement de Pétersbourg, seul capable de considérer avec une indulgente amitié des faits qui attiraient des coups de canon de la part de la France et de l’Angleterre. Voilà comment la Russie est aujourd’hui plus que jamais en situation d’arriver à ses fins. Elle ne rétrograde pas, elle avance.

Le jour où la politique russe sera parvenue à prendre la position qu’elle ambitionne dans les mers de l’extrême Orient, la seule force qui pourrait facilement et sérieusement contrecarrer ses desseins est cette autre puissance riveraine de l’Océan-Pacifique qui, elle aussi, tend à dominer sur le continent où elle joue un si grand rôle : nous voulons parler des États-Unis d’Amérique ; mais entre ces deux puissances qui ont des ambitions égales, qui sembleraient destinées à se rencontrer, à se heurter sur ce vaste théâtre des mers lointaines, il y a encore plus d’affinités que de raisons d’antagonisme et d’incompatibilité. Elles sont séparées par l’esprit, par les mœurs, par les institutions ; elles se rejoignent, il ne faut pas se le dissimuler, dans un sentiment plus ou moins latent, plus ou moins ostensible d’hostilité à l’égard de l’Europe, et c’est surtout par les intérêts dans la paix et même dans la guerre, c’est par une certaine solidarité qu’elles se rapprochent, qu’elles sont conduites à multiplier, à resserrer leurs relations. Cette alliance, à peine ébauchée sans doute, mais dont on a pu voir, depuis quelques années, plus d’un symptôme dans des circonstances significatives, cette alliance se fortifiera de tous les rapports de commerce qui ne tarderont pas à s’établir entre la Californie et l’Amour dès que sera ouverte la grande communication qui doit relier New-York, Boston et les principales villes industrielles du littoral de l’Atlantique avec San-Francisco, ce futur entrepôt du mouvement commercial américain avec la Chine et le Japon. Les Américains pourront alors remonter l’Amour, se répandre par la Sibérie jusque dans l’intérieur de la Russie d’Europe, et ils délieront facilement toute concurrence anglaise, française ou allemande, par la raison assez simple que les marchandises qui seront livrées sur l’Amour après trente ou quarante jours de navigation pourront être vendues meilleur marché que celles qui, embarquées à Hambourg, à Londres ou à Marseille, auront à doubler le cap de Bonne-Espérance, et mettront au moins cent trente ou cent quarante jours pour arriver au même point.

Pour le moment, il est vrai, la Russie n’en est pas à favoriser ce mouvement d’expansion des Américains vers ses possessions orientales. Elle redoute les émigrations, on l’a vu, plus qu’elle ne les appelle ; elle craint le génie entreprenant des Yankees, la