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rancho voisin, distant de deux lieues, où il devait passer la nuit avec ses fidèles. La capture du chef rebelle était bonne à tenter ; mais au moment où la petite colonne allait s’ébranler, arriva un nouvel espion, apportant la nouvelle qu’à la tombée de la nuit Carbajal, prévenu secrètement, s’était échappé en toute hâte. À ce même moment, Martin de Leon contait tranquillement à ses convives le dernier épisode du combat de San-Antonio, où son parent, vaincu, blessé et perdant son sang, avait pu s’échapper des mains des Français, et c’était notre amphitryon lui-même, ce que nous sûmes plus tard, qui, inquiet de l’absence du colonel Du Pin, avait jeté l’alarme chez le général ennemi en l’avertissant de se tenir sur ses gardes.

Une nouvelle municipalité inaugurant le régime impérial avait été organisée à Sotto-Marina. La Serna, ami de l’ordre avant tout, avait promis son appui contre les guérillas convaincus de banditisme et s’était engagé à donner l’exemple de la résistance en armant ses propres Indiens. Le départ fut arrêté pour le lendemain, 15 septembre, avec d’autant plus de raison que la troupe française avait déjà dévoré les modiques ressources alimentaires de Sotto-Marina, que le maïs était devenu rare même chez les habitans, et qu’à quinze lieues plus loin, sur la route de Matamoros, une hacienda nommée Buena-Vista (Belle-Vue), qui avait été jusqu’alors respectée par la guerre, devait nous fournir les provisions indispensables. Malheureusement un nouveau temporal, plus violent encore que le premier, s’abattit, dans la nuit même du 15 septembre, sur les terres chaudes. Il fallut renoncer à gagner la campagne. Quarante-huit heures après, les contre-guérillas et les habitans se trouvèrent réduits à la famine, bloqués de toutes parts et privés de toutes communications. La Corona n’était plus franchissable, même en canot, tant elle charriait de grandes pièces de bois arrachées aux berges du fleuve. Sotto-Marina s’élève sur un point légèrement culminant. Les prairies environnantes n’offraient plus qu’une nappe d’eau : il était devenu même impossible de poursuivre le bétail dans les bois. Le peu de maïs qui restait en ville fut réuni sur la place et distribué pour la nourriture des hommes. Nos chevaux, attachés à la corde en plein air, au milieu des boues, durent se contenter de la verdure qu’on coupait dans les arbres ; mais cette dernière ressource fut vite épuisée. Il fallait envoyer les escadrons au vert, si l’on ne voulait voir périr toute la cavalerie ; le vert, c’était l’écorce des arbres. C’était un triste spectacle de voir tous ces chevaux, lâchés en liberté comme un troupeau de moutons, ronger des broussailles épineuses, entourés par un large cercle de contre-guérillas faisant faction et piétinant dans un océan de vase. En sept jours, une trentaine de ces pauvres bêtes périrent de