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Flissas. D’imposantes forces algériennes marchent pour venger l’échec ; mais ce corps est de nouveau battu, les Turcs laissent 1,200 morts sur la place, et les Flissas, passant l’Isser, inondent et désolent, deux années durant, les plaines de la Metidja. On tremblait dans Alger ; c’en était fait de l’odjack, si les Kabyles, sans raison connue, ne fussent d’eux-mêmes, rentrés dans leurs montagnes, où le dey s’empressa de leur envoyer des gages pompeux de réconciliation.

Quant aux chroniques ou mémoires écrits par les voyageurs français d’alors, on y voit signalé en l’an 1719 le naufrage célèbre de la comtesse de Bourk sur la côte africaine, entre Collo et Bougie. La comtesse périt dans le naufrage, sa fille et ses serviteurs devinrent prisonniers des Kabyles, qui ne les rendirent qu’au prix d’une forte rançon ; « le bey de Constantine leur avoit mandé d’abord de les lui envoïer, s’ils ne vouloient pas qu’il allât lui-même avec son camp les leur arracher, à quoi les Maures répondirent qu’ils ne le craignoient ni lui ni son camp, quand il seroit joint à celui d’Alger. Ces Maures ne reconnoissoient pas la puissance d’Alger, quoiqu’enclavez dans le royaume. Ils vivoient dans l’indépendance sous le nom de Cabaïls, qui veut dire gens de cabale ou revoltez, et les montagnes de Coucou leur servoient de remparts inaccessibles à toutes les forces d’Alger[1]. » L’auteur d’une curieuse relation de voyage sur les côtes de Barbarie en 1725, Peyssonnel, peint vivement aussi l’impression que lui ont laissée et la vue du pays kabyle et l’attitude, — fort craintive près des montagnes, — de l’escorte turque qui l’accompagnait. « Il y a une chaîne très haute, dit-il, et très rude qui commence à la mer du côté de Bougie, et, courant nord et sud, va jusqu’au désert du Sahara. Il n’y a que des chèvres ou des hommes agiles comme elles qui puissent monter et descendre les élévations qui s’y trouvent, et il faut que cela soit, puisqu’il est impossible de les traverser en aucun autre endroit qu’aux Portes de fer. C’est ici que la peur fit bien changer de ton à messieurs les Turcs, car, lorsqu’ils sont brouillés ou en guerre avec la nation de ce pays, ils sont obligés de passer au Sahara en faisant un contour de cinq ou six journées, et d’en passer deux sans eau, pour pouvoir aller d’Alger dans le royaume de Constantine. Quoique les Turcs paraissent maîtres de ce pays, leur crédit et leur autorité y sont insignifians ; ils sont prisonniers dans leurs garnisons. Parfois pourtant le bey de Constantine retire quelque chose de ces montagnes. Il envoie tous les ans un camp du côté de Bougie ; ce camp va se saisir des endroits semés et menace de brûler les semences ; les Kabyles, réfugiés dans leurs

  1. Extrait du Voyage pour la rédemption des captifs aux royaumes d’Alger et de Tunis, fait en 1720 par les pères mathurins.