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Force lui fut toutefois d’accepter les bons offices des marabouts et de conclure la paix[1]. Son retour vers Alger faillit lui être plus funeste encore que sa campagne ; il manqua périr dans l’Isser, grossi par les pluies. Arrivé à grand’peine sur l’autre rive : « Si Dieu me prête vie, dit-il en menaçant du doigt le fleuve, je te mettrai un bât, car j’ai assez de tes insolences. » Il tint parole, et le pont de Ben-Hini fut construit.

Yahia-Agha inaugure une politique qui essaie d’être réparatrice ; c’est le seul administrateur sage que les Turcs semblent avoir eu en Kabylie. Par lui, Tizi-Ouzou fut restauré, Bordj-Boghni relevé deux fois de ses ruines, et les Nezliouas, qui l’aidèrent dans cette œuvre, dotés à nouveau de leurs anciennes immunités. Il ne pensait guère avoir à combattre un formidable soulèvement des Ameraouas, tribu que les Turcs avaient établie eux-mêmes avec toute sorte de privilèges dans la vallée du Sébaou et qu’ils croyaient à jamais fidèle. Indulgence, promesses, offres de pardon, rien n’y fit pour apaiser la révolte, qui gagna vite toute la rive droite du Sébaou : une véritable expédition devint nécessaire où l’agha turc employa de guerre lasse les gros moyens ; il brûla des villages entiers jusque chez les Ouaguenoun. Si sévère qu’il fût, cet exemple n’empêcha point leurs voisins les Djennad de refuser bientôt des bois de construction pour les besoins de la marine algérienne, ni les tribus des environs de Bougie de bloquer la ville plus étroitement que jamais, ni des chefs ameraouas, appelés dans Bordj-Sébaou, d’y tuer le caïd turc de leur propre main. — Cette même année, le consul américain Shaler écrivait dans son journal, à la date du 21 septembre 1824[2] : « Une goëlette américaine vient d’échouer sur la côte kabyle, l’équipage est prisonnier. Le chef des montagnards indépendans réclame 2,200 dollars. Je me suis rendu chez le ministre de la marine du dey pour offrir la rançon et prendre de promptes mesures en faveur de mes compatriotes. Le ministre m’a assuré qu’on n’avait rien négligé pour les délivrer, mais que les Kabyles ne reconnaissent ni l’autorité ni la juridiction du gouvernement algérien, et que même si les prisonniers étaient des Turcs, il faudrait ou payer la rançon ou les abandonner à leur destinée… Je m’amusais de voir la mortification de l’orgueil turc devant un pareil aveu. »

Conquérir le Djurdjura sans poudre et par la simple politique, c’est le rêve que les Kabyles attribuent à Yahia-Agha. « Je veux, leur disait-il, que vous deveniez la plus belle plume de mes ailes et

  1. Cette paix, les Flissas l’ont depuis rompue deux fois, et avec succès, en 1810 et 1814.
  2. Voyez Shaler, Esquisse de l’état d’Alger.