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de la chambre des communes, n’ayant pas voulu être autre chose. Robert Peel, qui avait été le chef reconnu et tout-puissant du parti conservateur, poussa même si loin ce sentiment qu’il refusa, comme on sait, l’ordre de la Jarretière, et que par son testament il défendit à ses enfans d’accepter après sa mort un titre de pairie, dans le cas où l’on voudrait le leur conférer en récompense de ses services, comme on l’avait fait pour le fils de M. Canning.

Ces illustres exemples serviront à éclairer une question que l’on ne manquera sans doute pas de soulever sur le continent. Avec de pareilles lois, dira-t-on, et surtout avec de pareilles mœurs pour gouverner le parlement, ceux-là seuls peuvent songer à y entrer qui ont reçu de leurs pères une position toute faite ou qui ont été singulièrement et de bien bonne heure favorisés par la fortune. Il est facile de comprendre le sens de cette observation, inspirée par les sentimens d’égalité absolue qui règnent sur le continent, mais qui ont assez peu de cours de l’autre côté du détroit. L’Angleterre s’évertue à nous crier sur tous les tons qu’elle est aristocratique et libérale, et qu’elle veut rester telle, instruite qu’elle est par l’expérience de l’histoire que tout pays où la démocratie règne sans contre-poids est condamnée ne pas jouir d’une vraie liberté, à être ballotté des excès de l’anarchie à ceux du pouvoir absolu, deux extrêmes dont l’Angleterre a également horreur. Elle préfère le lest et la stabilité de son aristocratie à la chance de pareilles aventures, et si vous pouviez sonder le fond de la conscience anglaise, vous y liriez peut-être que, l’Angleterre n’étant pas moins libérale qu’aristocratique, elle ne tient pas seulement à son aristocratie par amour des traditions et par respect pour le souvenir des services rendus, mais aussi parce qu’elle la considère comme un mentor qui aide puissamment la démocratie à s’élever et à s’enrichir. Dans nos sociétés bouleversées par tant de révolutions, nous sommes entraînés par les souvenirs du passé à regarder l’aristocratie et la démocratie comme deux factions hostiles, deux partis irréconciliables. En Angleterre, il n’en est pas ainsi. Aristocratie et démocratie y désignent des opinions bien plutôt que des partis dans le sens que nous attachons à ce mot. Les whigs, qui représentent avec plus d’éclat et d’autorité que personne l’idée aristocratique, ont contribué de toutes leurs forces à la révolution de 1648 ; ils ont fait celle de 1688, ils ont été les auteurs du bill de réforme et de toutes les réformes politiques qui ont suivi cette grande victoire du libéralisme. D’un autre côté, c’est un ministère tory qui a fait l’émancipation des catholiques et qui a commencé la réforme économique avec M. Huskisson ; c’est sir Robert Peel qui imposa au parlement l’abolition des corn laws. Aujourd’hui encore les whigs sont les chefs nécessaires de l’opinion libérale, et parmi les personnages importons il n’en est pas