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faites comme elles sont de l’autre côté du détroit, la lutte électorale se trouve dégagée des conséquences regrettables que trop souvent elle entraîne ailleurs. Dans les élections anglaises, ce qui est en question, c’est le verdict à rendre sur la politique générale du gouvernement ; ce qui est en jeu, ce sont des opinions. Ni candidats, ni électeurs, ni localités n’ont rien à attendre du résultat, quel qu’il soit, ni pour leurs intérêts particuliers, ni surtout pour leurs intérêts matériels. On ne peut ni les prendre avec cette amorce, ni les menacer avec cette arme. On vote sur la paix ou sur la guerre, pour ou contre l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur la drêche, pour ou contre la réforme électorale ou l’établissement du free trade, on vote toujours sur une question qui intéresse l’universalité des citoyens, et il n’y a pas moyen de voter sur autre chose, de voter pour s’emparer des fonctions rétribuées, comme cela se voit en Amérique, de voter pour avoir une ligne de chemin de fer, comme cela se fait en d’autres pays. Le sort de chacun est lié à la chose publique, mais aucun ne peut espérer de s’en approprier les bénéfices en consentant à laisser guider trop complaisamment son vote. Par là aussi se trouvent supprimées les causes de ces guerres que dans les gouvernemens centralisés les fonctionnaires sont toujours obligés d’engager et de soutenir contre une fraction plus ou moins nombreuse de leurs administrés, aux dépens de la considération du pouvoir et parfois de la leur propre, au détriment plus grand encore des vrais principes de l’ordre politique et social. C’est sa force vitale que l’administration dépense dans ces combats dont les ressentimens se perpétuent en s’aigrissant, et ce n’est pas dans les pays soumis à ce régime que l’on verrait après une élection, comme c’est la coutume en Angleterre, le candidat qui n’a pas réussi venir appuyer la motion présentée par son heureux rival pour offrir les remercîmens des électeurs au shérif qui a dirigé matériellement l’opération. Les vaincus, ou, pour parler plus exactement, ceux qui n’ont pas triomphé, sont en quelque sorte contraints par l’usage et par l’évidence des faits de rendre hommage à la loyauté de tous ceux qui ont participé à l’élection. Sans doute parmi les candidats qui ont été déçus dans leurs espérances il doit en être un certain nombre qui ont à se faire quelque violence pour remplir ce devoir ; mais, comme toutes les opérations depuis le commencement jusqu’à la fin se sont accomplies sur la place publique et sous les yeux de tous, on serait mal venu à ne pas vouloir reconnaître ce qui est de notoriété universelle, et l’offense serait ressentie non-seulement par les électeurs, mais par la population tout entière. Aussi le jour où se proclame le résultat de l’élection est-il un jour de fête et de conciliation générale. Le candidat triomphant est promené par la ville et par