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États-Unis. Nous oublions trop que ce sont deux pays où la liberté de la presse est une réalité vivante et où l’on en use sans hésitation. On dirait qu’habitués à vivre comme dans la chambre d’un malade, nous ne pouvons supporter le moindre éclat de voix sans croire aussitôt à quelque catastrophe. Ce que nous oublions aussi, c’est que les querelles entre l’Angleterre et les États-Unis ressemblent beaucoup à des querelles de famille, les plus terribles de toutes quand on ne parvient pas à les conjurer, mais de toutes aussi celles qui sont le plus faciles à accommoder, même quand elles semblent être le plus près d’aboutir aux dernières extrémités. On en a vu maints exemples, et qui ne peuvent s’expliquer que par le profond sentiment d’estime que les deux peuples, s’il est admis que ce soient deux peuples, éprouvent l’un pour l’autre. A vrai dire, et quoi qu’il en coûte à l’amour-propre des autres nations, il faut bien reconnaître que les États-Unis professent pour l’Angleterre une considération exceptionnelle, et que cette considération n’est pas un hommage rendu par faiblesse à la puissance ou à la grandeur anglaise ; elle prend sa source véritable dans le sentiment de la race et dans la voix du sang. Ne nous laissons pas d’ailleurs étourdir par la violence des clameurs que l’on pousse dans la presse ou dans les meetings. Si vous pouviez savoir quels sont les hommes qui tiennent ces plumes enflammées, qui composent les orateurs et le public de ces meetings, vous verriez que pour l’immense majorité ce sont des réfugiés politiques ou de nouveaux débarqués d’Europe, des Irlandais ou des Allemands qui n’ont pas encore été moralement absorbés par les États-Unis, tandis que la population qui est née sur le sol, celle qui a reçu le baptême ou l’inoculation des sentimens américains, s’abstient presque toujours de prendre part à ces démonstrations. Celle-ci laisse les autres parler, écrire et s’agiter ; cependant c’est toujours elle encore qui gouverne, et elle n’encourage pas toutes les entreprises, comme on l’a pu voir à propos du fenianisme. Pour en venir à une rupture avec l’Angleterre, il lui faudrait d’autres griefs que les courses de l’Alabama, quoiqu’elle ait amèrement reproché à l’Angleterre d’avoir laissé construire et échapper l’Alabama, quoiqu’elle désire vivement prendre sa revanche de la blessure faite à son amour-propre, lorsqu’après s’être si témérairement compromise dans la question, il fallut bon gré, mal gré rendre les prisonniers enlevés sur le Trent. S’ils ne sont pas pareils, les sentimens de l’Angleterre à l’égard des États-Unis correspondent cependant à ceux que l’on éprouve pour elle de l’autre côté de l’Atlantique. Sans doute il doit exister en Angleterre des gens qui jalousent la grandeur promise aux États-Unis, qui sont fatigués de les avoir toujours sur les bras avec leurs prétentions, leurs récriminations perpétuelles, leur humeur toujours inquiète, et qui