Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces lois cependant sont illusoires parce qu’elles n’ont jamais pu empêcher un propriétaire de défricher sa forêt lorsqu’il en avait l’intention. Quelques abus de pâturage, quelques coupes trop souvent répétées, il n’en faut pas davantage pour en amener la ruine, sans qu’aucune réglementation puisse s’y opposer. Cette impuissance de la loi prouve que le seul moyen d’assurer la conservation des forêts dont la présence est reconnue indispensable est la possession par l’état, qui intervient ici pour rendre à la société des services qu’elle ne peut attendre de nul autre. Et l’on ne saurait contester la légitimité de cette intervention, puisqu’il s’agit des intérêts les plus graves, c’est-à-dire de l’approvisionnement du marché en matière ligneuse, de la régularisation des cours d’eau, du maintien des terres sur les pentes, et dans certains cas de la salubrité même du pays.

Quand on analyse les rouages de ce qu’on appelle volontiers aujourd’hui la machine gouvernementale, on y découvre à première vue deux fonctions principales. D’une part, elle rend à la société certains services spéciaux ; de l’autre, elle puise chez les contribuables les sommes qui lui sont nécessaires pour y pourvoir. La récolte des fonds est faite par l’intermédiaire du ministère des finances, qui a, non point à se préoccuper de savoir si tel besoin social est satisfait, mais seulement de recueillir les impôts, afin d’être en état de faire face à ses engagemens. Rien de plus logique et de mieux combiné qu’une pareille organisation, à la condition toutefois qu’on ne considérera pas comme fiscale une administration dont les principales attributions sont de rendre des services d’une autre nature. C’est malheureusement ce qui est arrivé pour l’administration des forêts. Parce que ces propriétés donnent un revenu annuel de 35 millions environ, on en a confié la gestion au ministre des finances, sans s’apercevoir que la question financière n’est ici que secondaire et que c’est pour des motifs d’un tout autre ordre que l’état est propriétaire de bois. Il en résulte que le revenu devient alors la chose essentielle, et qu’on cherche à l’augmenter, même aux dépens de l’avenir, quand il s’agit d’équilibrer le budget. Dans les momens difficiles, les forêts ne sont plus qu’une ressource accidentelle dont on n’hésite pas à se servir pour se tirer d’un mauvais pas, et nous avons vu que, malgré la résistance du pays, elles ont supporté le contre-coup de toutes les crises et de toutes les fautes des gouvernemens qui se sont succédé.

Personne n’a jamais songé à mettre entre les mains du ministre des finances les places de guerre sous cet étrange prétexte, que l’herbe qu’on fauche annuellement sur les remparts donne un revenu qui entre dans la caisse du trésor. Il n’est pas plus logique de lui confier les forêts et de le charger de mettre en culture des