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cap Béarn, près de Port-Vendres, ou en haut d’une falaise, comme ceux de l’Ailly, de Fécamp et de la Hève sur les côtes de Normandie. Alors il suffit que la tour soit assez haute pour que la lanterne qui la surmonte ne soit ni cachée par des arbres ou des constructions, ni endommagée par la malveillance. Souvent aussi les besoins de la navigation exigent que le phare soit édifié sur le bord de la mer ou même au large sur des rochers à fleur d’eau. Cependant le foyer lumineux d’un appareil de premier ordre ne doit pas être à moins de 40 ou 45 mètres au-dessus du niveau de la haute mer, car cette élévation ne lui donne encore qu’une portée d’environ 30 kilomètres. À un frêle édifice d’une si grande hauteur[1], il faut une stabilité surabondante de peur que les ouragans ne le renversent ; il faut les soins les plus minutieux en ce qui concerne le choix et la disposition des matériaux, sans quoi les intempéries de l’air, le dégradant un peu chaque jour, en rendraient bientôt la chute imminente. Ces exigences sont plus rigoureuses encore quand la tour est fondée sur un écueil submersible et exposée par les gros temps à toute la violence des vagues.

En outre du feu qui la surmonte, la tour d’un phare est encore destinée à abriter bien des choses. Il y faut des magasins pour les approvisionnemens d’huile et d’objets divers nécessaires à l’éclairage, des logemens pour les deux ou trois gardiens qui font le quart chaque nuit, afin d’entretenir les lampes et de parer aux accidens. On réserve aussi une ou deux chambres un peu mieux décorées que les autres pour les ingénieurs chargés de la surveillance. Quand l’édifice est situé sur la terre ferme, ces logemens annexes se placent dans un corps de logis adossé à la tour principale ; mais, s’il est baigné par la mer de tous côtés, on ne peut qu’échelonner les chambres et magasins dans toute la hauteur du monument. Dans ce cas, les gardiens ont leur habitation sur le continent, près du port avec lequel les communications sont le plus faciles. Ils y laissent leur famille et viennent seuls passer à tour de rôle une ou deux semaines dans le phare.

Ces édifices isolés, construits au sommet de promontoires escarpés ou sur des rochers submersibles, battus par la tempête sur toutes les faces, sont sujets à des accidens singuliers contre lesquels l’architecte n’a pas l’habitude de lutter. Tantôt la mer, en déferlant avec fureur, projette des cailloux roulés contre les glaces de la lanterne ; par les gros temps, la vague elle-même s’élève, déviée

  1. Le phare le plus élevé des côtes de France est celui de Cordouan, qui a 63 mètres de haut, presque autant que les tours Notre-Dame à Paris ; viennent ensuite celui de Dunkerque, 57 mètres ; celui de Calais, 51 mètres ; celui des Baleines, à l’extrémité occidentale de l’île de Ré, 50 mètres.