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Avec quel sentiment de bonheur je rentrai dans mon élément ! Il me fallut pourtant encore regagner et remonter le haut de l’échelle. Une fois dans le bateau, on m’enleva d’abord la visière, puis le casque tout entier, puis enfin mon équipement de plongeur. Je m’aperçus seulement qu’il était plus facile d’entrer dans cet habit que d’en sortir ; l’extrémité des manches était si étroitement collée sur la peau qu’il fallut faire usage d’un instrument, cuff eœpanders (dilatateur des poignets), pour distendre l’étoffe. Mes vêtemens de dessous n’étaient nullement mouillés, et je dus reconnaître que la toile du diving-dress (habit de plongeur) méritait bien le titre de waterproof qui lui est donné par les inventeurs. Les bons marins me félicitèrent de mon retour à la vie, tout en riant de mon équipée. Selon eux, j’avais été faire un plongeon de canard au fond de la mer ; en vérité, ma courte descente n’avait guère été autre chose, et pourtant mon but ne se trouvait-il point atteint ? Je connaissais maintenant les méthodes essentielles des plongeurs, et surtout j’avais pu admirer de près le courage, la nature particulière de ces hommes qui, non contens de séjourner quelques minutes sous l’eau, s’y montrent capables d’exécuter pendant des heures entières toute sorte de travaux pénibles.

Le scaphandre, diving-apparatus, se prête encore mieux que la cloche à certains ouvrages d’architecture sous-marine. On s’en est servi dans ces derniers temps pour poser les fondemens des jetées, des digues et des brise-lames. Le nouveau pont de Westminster à Londres, — New Westminster Bridge, — a été construit par des ouvriers revêtus de cet appareil[1]. Il était curieux, pendant tout le temps que durèrent les travaux, de les voir descendre par une échelle le long des monstrueux échafaudages et disparaître dans l’eau avec leur casque. Ils eurent d’abord à extraire du fond de la Tamise les assises du vieux pont. De moment en moment, de formidables grues ramenaient à la surface d’énormes blocs de pierre de Portland que les plongeurs disjoignaient et soulevaient du fond de l’eau à l’aide du levier. Il leur fallut ensuite jeter les fondemens du nouveau pont. On travaillait ainsi jour et nuit ; mais où était la différence après tout ? même quand la lumière brillait sur l’horizon, les eaux de la Tamise étaient si épaisses et si chargées de matières bourbeuses que les plongeurs pouvaient à peine voir à une distance de dix-huit pouces ou de deux pieds. Ce crépuscule suffisait aux ingénieurs pour examiner l’état des travaux, mais les ouvriers reliaient les blocs de granit presque entièrement à la clarté de la

  1. On avait adopté celui de M. Heinke, Heinkes’ diving-apparatus, qui se distingue par quelques traits particuliers. Une double soupape fixée sur le devant de la pèlerine met le plongeur à même de descendre et de remonter à volonté.