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— l’apologie, je dirai presque l’apothéose de l’activité humaine. On le voit, le second Faust n’est pas moins qu’une philosophie sous forme allégorique. A mesure que nous avancerons dans l’examen de ces diverses théories qui en contiennent l’explication dernière, il deviendra sensible au lecteur qu’elles devaient écraser de tout le poids de tant d’abstractions accumulées la libre et florissante inspiration du poète. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : s’il est trop manifeste que le poète a vieilli dans l’intervalle des deux parties de l’œuvre, comme son héros, comme Faust lui-même, c’est une de ces vieillesses puissantes et vigoureuses que la pensée a longtemps remplies de sa forte sève, qui se tiennent fièrement debout parmi les jeunes générations, comme ces chênes des pays du nord, dépouillés de feuilles, mais indestructibles, qui ne vivent plus que par leurs racines enfoncées dans le granit et par leur haute ramure déployée dans la nue.


II

Essayons de mettre dans tout son relief chacune des théories qui font le durable intérêt du second Faust, en les rassemblant, en les ordonnant même au prix de quelque contrainte. Nous exposerons d’abord les considérations de Goethe sur les événemens dont il avait été le témoin et ses idées sur l’avenir des sociétés.

Goethe était le contemporain de la révolution française. Il en avait vu avec épouvante les horreurs ; je ne crois pas qu’il en ait jamais bien compris les origines et les aspirations légitimes, la vraie portée et les durables bienfaits. Les explications qu’il en donnait n’étaient ni assez profondes ni assez larges pour rendre compte d’un aussi grand événement. Il n’est pas loin de s’imaginer que ce fut l’affaire du collier qui décida la révolution. Presque toujours il semble supposer qu’au fond de la passion révolutionnaire il n’y avait que les plus basses convoitises de la plèbe, le désir du pillage, l’amour de l’or sans travail. La corruption des souverains et la cupidité des peuples, voilà pour lui ce qui explique tout dans ces sortes d’événemens. Il ne sort pas de là. « On dit que je ne suis pas un ami du peuple ! Oui, c’est vrai, je ne suis pas un ami de la plèbe révolutionnaire, qui sous la fausse enseigne du bien public n’a vraiment devant les yeux que les buts les plus méprisables. Je suis aussi peu l’ami de pareilles gens que je le suis d’un Louis XV… On a raison, je ne pouvais être un ami de la révolution française, parce que j’étais trop touché de ses horreurs ; mais j’étais aussi peu l’ami d’une souveraineté arbitraire… Je hais ceux qui accomplissent les révolutions aussi bien que ceux qui les ont rendues