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Pour les femmes, la prunelle noire, hardie, la forte couleur des cheveux noirs audacieusement retroussés, parfois massés en nattes luisantes, la forme vigoureusement marquée des pommettes et du menton, le front souvent carré, le bas du visage large et bien assis, la solide ossature de la tête, leur ôtent toute apparence de douceur, de délicatesse, et le plus souvent même tout air de noblesse et de pureté. En revanche, la structure et l’expression de leurs traits manifestent l’énergie, l’éclat, la hardiesse joyeuse, l’intelligence ferme et nette, le talent et la volonté de bien profiter de la vie. Quand on regarde aux vitrines des libraires les figures que les faiseurs de dessins politiques donnent à l’Italie, à ses provinces, on y retrouve le même caractère ; quoique déesses et déesses allégoriques, leurs têtes sont courtes, rondes, grossièrement rieuses et sensuelles. Rien de plus important que ces figures populaires et ces types acceptés. Voyez par contraste la douce Anglaise du Punch, aux longues boucles, aux robes trop neuves, ou la Française de Marcelin, coquette, sémillante, extravagante, ou la candide, honnête, primitive Allemande un peu niaise du Kladderadatsch et des petits journaux de Berlin. — Je viens de parcourir les rues à Bologne ; il est neuf heures du matin ; sur quatre femmes, il y en a toujours trois frisées, presque parées ; leur regard droit s’étale avec assurance sur les passans ; elles vont tête nue, quelques-unes seulement laissent pendre sur leurs épaules un voile noir ; leurs cheveux bouffent superbement des deux côtés ; elles semblent équipées en conquête ; on ne peut se figurer une physionomie plus naturellement triomphante, une pareille démarche de prima donna sur les nues. Avec ce caractère, cet esprit et l’imagination des hommes, elles doivent être maîtresses.

Que peut-on faire à table d’hôte, sinon regarder ? Dans ce silence et cette communauté forcée, les yeux et le raisonnement travaillent. La dame qui est en face de moi est la femme d’un major qui tient garnison dans les Abruzzes, belle, quoique mûre, gaie, décidée, sûre d’elle-même, et quelle langue ! Le nord et le sud de l’Europe, les races latines et les races germaniques sont séparés de mille lieues par cette facilité de parole, par cette hardiesse de jugement, par cette promptitude d’action. Elle juge tout, raisonne de tout, de la paresse des paysans des Abruzzes, de leurs vendette, des embarras du gouvernement, de son chien, de son mari, des officiers du bataillon, de « notre beau régiment le 27e. » Elle me parle, elle adresse la parole à son voisin, un ecclésiastique qui a comme les autres l’air italien, je veux dire galant, obséquieusement poli. Ses phrases coulent avec la vélocité et la sonorité d’un torrent intarissable. — Avant-hier, une autre, de quarante-huit ans, avec un spencer noir, pomponnée de rubans, la figure rouge, occupait seule toute la conversation et faisait résonner la salle de son bavardage