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accusé d’être un prédicateur sacrilège du mensonge et un falsificateur des Écritures, il fait en sorte qu’on puisse dire : Jérôme condamné ne répond pas, cet homme terrible a trouvé son maître ; il est si bien vaincu qu’il se tait. Voilà par quelles manœuvres Augustin grandit sa renommée ! » Les amis de Jérôme le suppliaient alors de se montrer, de saisir cette plume qui avait fait trembler tant d’adversaires ; mais lui, malgré les soupçons qui assiégeaient son âme, s’y refusa constamment. « Non, non, répétait-il avec force, il ne sera pas dit que j’aie attaqué un évêque de ma communion dans une cause qui m’est toute personnelle. »

Augustin sut bientôt par des pèlerins venus de Palestine ce qui se passait aux monastères de Bethléem, la douloureuse modération de Jérôme, la colère furieuse de ses amis. Il comprit sa faute et en éprouva un vrai désespoir : non certes qu’il se sentît coupable, à un degré quelconque, de l’infâme calcul que lui prêtaient les apparences, mais parce que sa négligence ou sa faiblesse avait amené un grand mal. Il eut aussi à se reprocher le peu de ménagement de ses paroles vis-à-vis d’un vieillard qu’il nommait lui-même son ami et son maître : or des expressions, des libertés de langage à peine excusables dans le commerce de l’intimité se trouvaient maintenant divulguées, livrées à la malignité publique et tournées, suivant les dispositions de chacun, tantôt contre l’adversaire, tantôt contre l’auteur. Un autre chagrin plus poignant, c’est qu’il ne pouvait expliquer suffisamment tant de malentendus accumulés. Si la mort, subite de Profuturus était à la rigueur une excuse recevable pour la perte de la première lettre, que dire de celle de la seconde et de ce Paulus, dont il n’éclaircit jamais la conduite, cet homme qui se charge de porter une lettre en Palestine, et qui la porte à Rome par peur soudaine de la mer ? Augustin évidemment était livré aux cabales ennemies de Jérôme ; on l’avait poussé à des critiques, on avait excité sa bile, puis on avait trompé sa confiance au profit peut-être de sa vanité, qui plaiderait pour les coupables, se disait-on, quand la fraude aurait réussi. C’était l’état vrai des choses, et Augustin, sincère admirateur de Jérôme et après tout son sincère ami, en eut le cœur navré. Il se hâta de lui écrire une lettre remplie de protestations de dévouement, mais où il se taisait sur les erreurs de sa correspondance antérieure : l’embarras des explications lui avait arrêté la main.

« On m’a rapporté, écrivait-il, un bruit que j’ai peine à croire ; mais pourquoi ne t’en parlerais-je pas ? On m’a rapporté que quelques-uns de nos frères qui me sont inconnus t’ont fait entendre que j’avais composé un livre contre toi, et que je l’avais envoyé à Rome. Sois convaincu que rien au monde n’est plus faux. Dieu m’est témoin que je n’ai point composé de livre contre toi, » — Le