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cherchent des effets, ils font des phrases, ils ne savent plus parler correctement leur langue ; ils forcent ou faussent le sens des mots ; ils raffinent et ils exagèrent ; l’ambition de leur style fait contraste avec la mollesse de leur pensée et avec la négligence de leur diction. Et cependant ce sont des travailleurs zélés, des restaurateurs de la langue. Comparés aux Vasari, aux Sabbatini, aux Passerotti, aux Procaccini, à leurs prédécesseurs, à leurs rivaux, aux disciples dégénérés des grands maîtres, ils sont attentifs et sobres. Ils ne veulent plus peindre de pratique, avec des recettes, comme leurs contemporains, artistes expéditifs qui se font une gloire de faire des figures de cinquante pieds, de fournir par jour une demi-toise de peinture, même de peindre avec les deux mains, d’oublier la nature, de tout tirer de leur génie, d’entasser les musculatures, outrées, les raccourcis extraordinaires, les poses emphatiques, dans de grandes machines traitées avec un sans-gêne de fabricant et de charlatan. Ils font tête au courant, étudient les anciens maîtres, restent longtemps pauvres et sans commandes, et enfin ouvrent une école. Là on travaille et on n’oublie rien pour s’instruire dans toutes les parties de l’art. On copie des têtes vivantes et on dessine d’après le modèle nu ; les plâtres des antiques, les médailles, les dessins originaux des maîtres, fournissent des exemples. On apprend l’anatomie sur le cadavre, et la mythologie dans les livres. L’architecture et la perspective sont enseignées ; on discute et compare les procédés des maîtres anciens et des maîtres modernes ; on observe les transformations de traits qui font d’une figure virile une figure féminine, d’une forme inanimée une forme humaine, d’une attitude tragique une attitude comique. On devient savant, érudit même, éclectique et systématique. On établit des principes et on dresse un canon pour les peintres, comme avaient fait jadis les Alexandrins pour les orateurs et les poètes. On recommande « le dessin de l’école romaine, le mouvement et les ombres des Vénitiens, le beau coloris de la Lombardie, le style terrible de Michel-Ange, la vérité et le naturel de Titien, le goût pur et souverain du Corrège, la prestance et la solidité de Pellegrini, l’invention du docte Primatice, et un peu de la grâce du Parmesan[1]. » On s’approvisionne et on s’exerce. Voyons quels fruits cette patiente culture va donner.

Il y a ici treize grands tableaux de Louis Carrache, entre autres une Nativité de saint Jean-Baptiste et une Transfiguration sur le mont Thabor, On n’imagine guère de personnages plus déclamatoires que les trois corps d’apôtres à demi renversés ; surtout celui dont on voit l’épaule nue ; ce sont des colosses faits trop vite, sans substance

  1. Sonnet d’Augustin Carrache.