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vouer à la colère de Vénus pompéienne celui qui se permettra d’y toucher : abia Venere pompeiana iradam qui hoc lœserit[1]. On ne sera pas surpris d’apprendre que le plus grand nombre de ces graffiti qu’on a retrouvés dans les ruines de la colonie de Vénus avaient été tracés par des amoureux. Lucien dit que de ce temps c’était l’usage d’écrire des déclarations d’amour sur les murailles ; il y en a beaucoup à Pompéi et, comme l’orthographe en est très diverse, on peut en conclure qu’elles ont été écrites par des gens qui appartenaient à des classes différentes de la société. Quelques-uns, pour célébrer leur belle, se contentent d’emprunter des vers aux poètes en renom, à Virgile[2], à Properce, à Ovide surtout : c’était le peintre des amours légers, tenerorum lusor amorum ; aucun n’était plus à la mode parmi les jeunes gens, D’autres fois les vers sont tirés d’auteurs aujourd’hui perdus, ou même semblent composés tout exprès pour la circonstance, et il y en a qui ne sont pas trop mal tournés pour des vers de province. « Que je meure, dit l’amant heureux, si je souhaite d’être un dieu sans toi ! Ah ! peream sine te si deus esse velim ! » — « A moi les amoureux I dit l’amant irrité, je veux rompre les côtes à Vénus ! Quisquis amat veniat, Veneri volo frangere costas. » Les moins lettrés, les ignorans, c’est-à-dire le plus grand nombre, se contentent de parler en prose, et il leur arrive même de parler une prose assez barbare. Voici quelques-unes de ces inscriptions où ils expriment avec une grande naïveté leur amour ou leur colère. « Ma chère Sava, aime-moi, je t’en prie, — Nonia salue son ami Pagurus. — Methe la joueuse d’atellanes aime Chrestus de tout son cœur. Que Vénus pompéienne leur soit propice, et qu’ils vivent toujours en bon accord ! — Asellia, puisses-tu dessécher ! — Virgula à son ami Tertius : tu es trop laid ! . Virgula Tertio suo : indecens es. » Il y a deux de ces inscriptions qui méritent une mention spéciale, l’une parce qu’elle est d’un mari qui a le courage d’écrire sur les murs qu’il aime sa femme : Primus.Massilam amo uxorem, l’autre parce qu’elle laisse entrevoir tout un petit roman. N’est-ce pas un pauvre amoureux, abandonné de sa maîtresse, qui la retrouve après l’avoir longtemps cherchée et qui écrit tristement sur la maison où elle

  1. Je ne change rien à ce latin barbare. On reconnaît facilement dans le mot abia pour habeat la forme italienne abbia.
  2. Qu’il nous soit permis de citer à ce propos une méprise assez plaisante du père Garrucci. Dans une ligne, dont quelques mots seulement sont effacés, il avait trouvé le sens suivant : « O toi qui pleures, comme une jument hennit, les fruits de tes entrailles que tu as perdus. » Avec un peu plus de mémoire, il se serait aperçu qu’il avait affaire à un vers de Virgile :
    Quisquis es amissos hinc jam obliviscere Graios.