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On pouvait les considérer comme une terre conquise et dire qu’en se retirant de l’Union ils avaient perdu tous les droits qu’ils tenaient de la constitution fédérale, et qu’ils avaient cessé d’être des états souverains. Il fallait alors les traiter comme des étrangers et des vaincus, détruire ou laisser tomber leurs gouvernemens locaux et les réorganiser à nouveau comme des territoires soumis à la législation du congrès. Un jour, quand tout souvenir de la guerre civile serait effacé, on les réadmettrait sans doute au sein de l’Union. — C’était, disaient les radicaux, l’exécution littérale de la constitution des États-Unis, le seul parti propre à faire dignement respecter l’autorité nationale, le seul moyen de renouer solidement l’ancienne Union, en étouffant d’abord sur ce terrain nivelé tous les germes de révolte implantés par l’esclavage et par la guerre. Il était bon que les états du sud passassent d’abord sous la meule de l’autorité militaire et du pouvoir absolu, ou du moins qu’on les tînt nombre d’années sous la tutelle du congrès, c’est-à-dire sous la domination des états du nord. Leurs délégués viendraient, comme ceux des territoires, exposer leurs plaintes et défendre leurs intérêts ; mais ils n’auraient dans le congrès qu’une voix consultative, et ne prendraient aucune part au gouvernement. On devait bien se garder de rendre aux états du sud l’influence souveraine qu’ils avaient si longtemps exercée. La rébellion, disaient les orateurs du parti radical, n’était pas morte encore ; elle n’était qu’abattue, et elle pouvait se relever, si l’on n’y prenait garde. Jamais l’Union n’avait couru un aussi grand danger qu’en ce moment suprême où tout semblait pacifié, mais où tout dépendait du parti que le peuple et le gouvernement allaient prendre. Si une fois on laissait se réorganiser le parti de l’esclavage et de la sécession, si les gens du sud renouaient leur ancienne alliance avec les démocrates du nord, c’en était fait de la grandeur nationale et de la liberté. On verrait se renouveler les mêmes prétentions, les mêmes querelles que par le passé ; l’esclavage, aboli dans les mots, serait maintenu dans le fond, et tout cela finirait par une autre guerre civile, qui cette fois serait sans remède.

L’autre politique reposait sur une théorie absolument contraire. Elle posait en principe que les ordonnances de sécession votées par les états rebelles étaient nulles et non avenues, que la constitution des États-Unis n’avait jamais cessé d’être la loi des états du sud, et qu’ils n’avaient jamais pu sortir légalement de l’Union. Ils se retrouvaient donc au lendemain de la guerre, avec tous leurs droits et tous leurs privilèges, à la même place de l’édifice qu’ils n’avaient pu ébranler. Si les députés des états du sud avaient laissé dans le congrès leurs sièges vides, ils n’avaient pas cessé légalement d’en faire partie, et les deux assemblées avaient statué aussi