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dépenses. En s’emparant du gouvernement des états rebelles, on s’imposait en même temps la lourde charge de pourvoir à toutes leurs nécessités. Il ne fallait pas s’attendre à voir l’agriculture et l’industrie refleurir sous le régime d’une domination militaire impatiemment supportée par des populations mal soumises : on aurait donc à nourrir les états du sud en même temps qu’à les tenir dociles, à continuer indéfiniment ces aumônes, ces distributions de vivres à plusieurs millions d’affamés qui depuis la fin de la guerre ruinaient le gouvernement fédéral encore plus que ne l’avait ruiné pendant la guerre l’entretien de sa monstrueuse armée. Était-il prudent d’affronter cette redoutable aventure et d’y engager l’honneur national ? Fallait-il accoutumer les hommes du sud à se considérer comme des étrangers, presque comme des ennemis dans la famille américaine ? Quant à la reprise de l’ancienne alliance du sud avec les démocrates, si redoutée des radicaux, dont elle pouvait gêner les desseins, elle était le plus sûr moyen d’effacer entre le nord et le sud les souvenirs de la guerre en accoutumant les deux ennemis à se rappeler qu’ils étaient frères et habitans d’une seule maison. On ne pouvait prétendre à régler en un jour tous les différends des deux partis. Le nord et le sud devaient rester longtemps encore des frères jaloux et rivaux. Mieux valait la reprise des anciennes luttes légales, avec une constitution modifiée qui donnait le dernier mot aux états du nord, que la prolongation indéfinie des sentimens de la guerre civile.

Le président Johnson avait à choisir entre ces deux partis, et l’on ne doutait guère aux États-Unis qu’il ne se déclarât avec sa violence accoutumée en faveur de la politique radicale. Les démocrates d’ailleurs faisaient bien tout leur possible pour s’en faire un ennemi. Ils allèrent, après l’exécution des assassins du président Lincoln, jusqu’à le menacer d’impeachment[1] pour ce qu’ils appelaient le meurtre de Mme Surrat. Après l’arrestation de Jefferson Davis, il y eut à New-York une réunion publique des amis du président rebelle. Plusieurs orateurs démocrates y déclarèrent que la défaite de la rébellion n’était que temporaire, que l’esprit qui l’avait suscitée vivait encore, et que, grâce à l’assistance de ses amis du nord, elle pouvait réussir d’une manière nouvelle. Ils ajoutèrent que l’exécution de Mme Surrat avait excité l’indignation du monde, que le gouvernement n’oserait pas mettre M. Davis en jugement, et que « quiconque regardait la cause du sud comme celle de la trahison n’était

  1. L’impeachment est une espèce de procès politique que le congrès intente aux grands fonctionnaires du gouvernement. La chambre des représentans décrète l’accusation, et le sénat sert de tribunal. Le condamné est déposé de sa charge, et incapable d’en remplir aucune autre dans le gouvernement des États-Unis.