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Parfois Livingstone et son compagnon entendaient des cris qui se rapprochaient de la voix humaine, accompagnés de clapotemens, de glouglous, de rejaillissemens de toute sorte ; parfois il leur semblait qu’un canot monté par plusieurs rameurs s’approchait. Ils se levaient, écoutaient, hélaient, tiraient quelques coups de fusil, dont le bruit se prolongeait pendant près d’une heure avant de s’évanouir. Arrivés enfin au terme de cette émouvante nuit sans sommeil, ils sortirent sains et saufs de leur abri suspect, et avisant un nid de fourmis d’une hauteur prodigieuse, Livingstone y monta pour s’orienter. Il vit que le Chobé faisait, à une grande distance, une pointe dans les terres, et rama de ce côté, recommandant à son nègre de se tenir solidement cramponné au bateau. Le conseil était bon, car au même instant un hippopotame, apparaissant et plongeant tout près d’eux, lança la chétive embarcation bien loin derrière lui. Ils ramèrent depuis midi jusqu’au soleil couchant, toujours enfermés entre deux murailles de hautes graminées, et aperçurent le soir seulement un village de Makololos dans une des îles du fleuve. Les naturels crurent d’abord voir un fantôme, mais ils reconnurent bientôt Livingstone et se dirent entre eux : « Est-ce des nues qu’il est tombé ? est-il venu à califourchon sur un hippopotame, ou en volant comme un oiseau ? » Ces bonnes gens allèrent lui chercher ses attelages et lui servirent de guides jusqu’à Linyanti. Sékélétou, le chef des Makololos, jeune homme de dix-huit ans, en faveur duquel Mamokisané avait abdiqué, reçut Livingstone avec des marques non équivoques de la plus vive satisfaction. Il lui présenta comme vin d’honneur plusieurs mesures de bière, et un héraut ou chambellan lui débita une harangue pour lui souhaiter officiellement la bienvenue.


IV

La fatigue de ce voyage qui avait duré plus d’une année, n’arrêta pas Livingstone, décidé à poursuivre l’exécution du plan qu’il avait conçu. Il ne s’agissait de rien moins que de mettre le centre de l’Afrique australe, où il se trouvait, en communication avec l’Atlantique à l’ouest et l’Océan indien à l’est, et d’ouvrir ces contrées inconnues au zèle et à l’activité de tous les pionniers de la civilisation chrétienne ; mais pour réaliser ce projet il avait besoin du concours de Sékélétou, dont la domination s’étendait sur une section considérable du bassin du Zambèse. Il n’eut pas de peine à l’intéresser à son entreprise. Ce jeune homme bienveillant et bien doué comprit l’avantage que son pays pourrait retirer de l’exécution de ce plan. Ce n’était qu’à des prix purement nominaux que les