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domine ; dans l’autre, c’est l’élément grec ; à l’un et à l’autre il n’a manqué pour être des gnostiques que d’admettre l’incarnation du Verbe.

Ce n’est pas seulement dans le début de l’Évangile de saint Jean qu’on peut découvrir des rapports du christianisme avec les doctrines hermétiques ; l’idée de la régénération ou renaissance (palingénésie) forme le sujet du troisième chapitre de cet Évangile et d’un dialogue d’Hermès intitulé Parole mystérieuse ou Sermon secret sur la montagne. Ce titre même et le passage où Hermès attribue la régénération au fils de Dieu, à l’homme unique, indiquent que l’auteur vivait à une époque où le christianisme avait déjà pénétré à Alexandrie, et qu’il s’est trouvé en contact avec quelques chrétiens. Cependant un examen attentif n’autorise guère à supposer qu’il connût leurs livres, ni même qu’il fût initié à leurs dogmes.

Les premières sociétés chrétiennes étaient de véritables sociétés secrètes. Si l’ardeur du prosélytisme pouvait étouffer la crainte des persécutions, il restait toujours le danger d’exposer les croyances nouvelles aux insultes et aux railleries de ceux qui n’étaient pas préparés à les recevoir. Il est vrai que les apôtres et leurs premiers disciples, étant des Juifs, s’adressaient d’abord à leurs coreligionnaires ; mais l’expérience leur avait appris dès le début que l’attachement des Juifs à la tradition les mettait en défiance contre toute tentative de réforme. La liberté des mœurs grecques permettait de prêcher le dieu inconnu sur la place publique d’Athènes, mais on se serait fait lapider comme saint Etienne en annonçant l’incarnation dans une synagogue. D’ailleurs la mode était aux mystères, le secret des initiations était un moyen de propagande et un appât pour la curiosité, tout le monde voulait être initié à quelque chose.

Les chrétiens n’avaient pas créé cette situation, mais ils l’acceptèrent, préparant le terrain peu à peu, s’adressant successivement à l’un et à l’autre et ne dévoilant pas toute leur doctrine à la fois. Les principaux points de cette doctrine étaient résumés dans la prédication évangélique intitulée : Discours sur la montagne, ces mots devaient revenir de temps en temps aux oreilles des Juifs non encore initiés à l’Évangile. Qu’un d’entre ceux-ci ait imaginé de produire une révélation sous le même titre, rien n’est plus naturel ; mais, de même qu’entre le Poimandrès et le Pasteur d’Hermas, la ressemblance ici s’arrête au titre. Le Discours sur la montagne rapporté dans l’Évangile de saint Matthieu contient un enseignement purement moral ; il n’est question de la régénération que dans l’Évangile de saint Jean. L’auteur qui écrit sous le nom d’Hermès, à qui cette idée de régénération était sans doute parvenue comme