Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

fonde et de révolte avouée contre l’église. Il nous suffit pour le moment d’avoir établi qu’on ne saurait faire remonter la responsabilité de ces productions bizarres jusqu’à l’abbé de Flore, et d’avoir prouvé que trois grands ouvrages, savoir : la « Concorde du Vieux et du Nouveau Testament », — « l’Exposition de l’Apocalypse », le « Psaltérion décacorde » et quelques lettres ou traités d’importance secondaire méritent seuls de porter le nom de Joachim.


III. — L’ÉCOLE FRANCISCAINE EXALTÉE. JEAN DE PARME.

La discussion à laquelle nous venons de soumettre les écrits du prophète calabrais suffirait pour prouver qu’aucun des ouvrages authentiques ou apocryphes qui figurent sous son nom ne portait le titre d’Évangile éternel. Si des savans tels que Tillemont, Crevier, d’autres encore, ont supposé que Joachim avait composé un ouvrage ainsi nommé, cela vient d’une confusion que nous expliquerons bientôt. Il paraît même que Joachim ne s’avoua jamais bien clairement l’idée séditieuse qu’on lui prêta plus tard. Le quatrième concile de Latran (1215), tout en condamnant l’opposition qu’il fit à Pierre Lombard sur un point de métaphysique, reconnaît la soumission du saint abbé à l’église et sa parfaite docilité.

Joachim n’eût donc pas dépassé le renom d’un théologien de second ordre et d’un exégète aventureux, sans une fortune inespérée qui vint relever son nom et l’attacher à l’une des tentatives les plus hardies dont l’histoire des réformateurs chrétiens ait conservé le souvenir.

On n’a pas encore assez montré toute la signification historique de l’ordre de Saint-François. L’institution monacale, qui a surtout préoccupé les historiens des ordres religieux, l’incomparable élan poétique, qui a surtout frappé les hommes d’imagination et de goût, n’ont point permis d’apprécier à leur juste valeur les aspirations politiques et sociales qui se cachaient sous ce mouvement en apparence purement ascétique. Le fait est que, depuis les premiers jours du christianisme, on n’avait jamais osé concevoir de telles espérances. Le livre des Conformités, de Barthélemi de Pise, n’est pas une œuvre isolée ; c’est le manifeste tardif de la plus secrète pensée de l’ordre. Le but de saint François ne fut pas d’ajouter une règle nouvelle à la liste déjà longue des règles monastiques ; son but fut de réaliser l’idéal chrétien, de montrer ce qui pouvait sortir du discours sur la montagne pris à la lettre comme loi de la vie. Au fond de la tentative franciscaine, il y avait l’espérance d’une réforme générale du monde, d’une restauration de l’Évangile. On admettait que pendant douze cents ans l’Évangile n’avait pas été bien