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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

ral des révélations de l’Alvernia, ne reculait pas devant les applications sociales les plus exagérées du principe de la pauvreté. Il rejetait toutes les interprétations de la règle, même celles qui avaient été proposées par des docteurs et sanctionnées par des papes. Persuadé que dans l’institution de Saint François était renfermé l’avenir de l’église et du genre humain, il conçut le projet de relever la pensée du fondateur, que la mollesse des disciples avait laissé tomber dans l’oubli. Le commencement de son généralat fut une sorte de retour à l’idéal franciscain le plus pur. La règle fut partout remise en vigueur. Il était arrivé dans le sein de l’ordre d’Assise ce qui se passe à l’origine de toutes les religions. Les vrais disciples du fondateur, les saints, les austères, étaient devenus vite un embarras ; dans les années qui suivirent la mort de François, les héritiers de son esprit avaient été presque tous exilés ou emprisonnés ; un ou deux furent même assassinés. Jean de Parme rappela les saints bannis. La légende de François fut reprise et embellie[1]. On supposa un testament dicté, disait-on, par François stigmatisé, et qui renchérissait encore sur les prescriptions de la règle. Par sa haute piété, par son mépris des grandeurs terrestres, par son aversion pour l’éclat mondain des dignités ecclésiastiques, Jean de Parme rendit durant quelque temps aux zélés de l’ordre l’image vive de leur saint fondateur ; les neuf années que dura son généralat furent le règne d’une coterie pieuse que nous connaissons à merveille depuis que les mémoires de l’un des affiliés, le naïf et aimable frà Salimbene, ont été livrés au public[2]. Joachim était après François d’Assise l’oracle de cette petite école. Ses écrits y étaient avidement lus et copiés avec ardeur. L’abbé de Flore, qui n’avait laissé en Calabre que des disciples inconnus, trouvait ainsi dans un autre ordre une famille dévouée et d’ardens continuateurs.

Nous sommes ici certainement à l’origine de l’Évangile éternel. Déjà au XIVe siècle le dominicain Nicolas Eymeric, dans son Directorium inquisitorum, désigne Jean de Parme comme l’auteur du livre dont il s’agit, et ce sentiment est resté celui de presque tous les critiques et historiens ecclésiastiques. Les efforts désespérés tentés par les auteurs de l’histoire littéraire des franciscains, Wadding et Sbaraglia, pour écarter d’un supérieur de leur ordre la tache d’hérésie, n’ont pu obscurcir une vérité dont la certitude va jusqu’à l’évidence[3]. Pourtant une foule de questions restent encore à résoudre. Le livre de l’Évangile éternel existe-t-il dans les collections de manuscrits ? Quelle en était la nature ? Quelles furent dans

  1. La rédaction du récit des « trois compagnons » est de l’an 1247.
  2. Voyez surtout p. 98 et suiv. ; 101 et suiv. ; 104,317 et suiv.
  3. Voir l’article précité de M. Daunou.