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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

promoteur auprès de la commission d’Anagni condamne avec insistance les partisans des ternaires joachimites et ceux qui annonçaient comme prochains l’ère du Saint-Esprit, le règne des moines, la cessation des images, des figures, des sacremens. Cette même année, si longtemps annoncée comme fatale, vit en effet éclore plusieurs nouveautés, les folles tentatives de Gérard Ségarelle et de ses apôtres, la première épidémie de flagellans[1]. Jamais on ne vit un tel déluge de prophéties de toute espèce[2], ni tant de sectes de mendians[3]. Le dernier écrit de Guillaume de Saint-Amour, qui date de la même époque, ce livre De Antichristo, qui nous est si bizarrement parvenu sous l’anagramme de Nicolas Oresme[4], est consacré presque tout entier à la réfutation des erreurs joachimites, contre lequel l’énergique défenseur de l’université s’était si vivement escrimé quelques années auparavant. Partout on se préoccupait de l’avenir de l’église, de ses épreuves futures. — Les uns, dit Guillaume, annoncent avec l’abbé Joachim qu’une ère pacifique va s’ouvrir par l’avènement du Saint-Esprit et l’apparition d’un troisième Testament, où les hommes seront exclusivement spirituels. D’autres, frappés du refroidissement de la charité et des maux qui se multiplient de plus en plus dans l’église, annoncent pour la fin des temps l’apparition de prédicateurs excellens, qui ranimeront la foi ; d’autres enfin, promettant à l’église de longs jours de paix et de prospérité, prétendent que sa vieillesse durera autant que ses autres âges et ne leur sera point inférieure. — L’inflexible recteur de l’université se refuse à toutes ces hypothèses consolantes : il consacre son livre à exposer les sombres théories de l’antechrist, les horreurs de la dernière persécution, le débordement d’erreurs qui précédera le jugement. La cessation de l’empire romain par le grand interrègne, l’arrivée de faux missionnaires (les mendians) qui envahissent le champ des vrais pasteurs, l’aveuglement et la lâcheté des prélats, la translation de l’office de la prédication, la fausse sécurité où l’église s’endort, la cessation des miracles, les progrès de l’infidélité, le refroidissement de la charité, et surtout l’annonce d’une loi nouvelle que l’on donne comme devant remplacer l’Évangile, paraissent à Guillaume les signes certains d’une catastrophe prochaine. Il s’élève à ce propos avec une grande force contre Joachim et ses disciples, contre ces ministres non du Saint-Esprit, mais

  1. Salimbene, 123-124, 228, 240.
  2. Ibid., p. 234-235, 265 et suiv., 284, 303, 308 et suiv.
  3. Ibid., p. 109-124, 241-242, 262, 330-331, 371-372, etc.
  4. Voyez à cet égard la discussion de M. V. Le Clerc (Hist. litt. de la Fr., t. XXI, p. 470 et suiv.). — L’ouvrage de Guillaume peut se lire dans Martène et Durand, Amplissima collectio, t. IX, col. 1273 et suiv.