Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
REVUE DES DEUX MONDES.

tant aux extrémités de l’empire l’activité et les lumières dont Rome était le foyer et y ramenant des flots de populations qui accouraient dans la métropole se pénétrer de l’esprit romain, apprendre la langue latine et se façonner à la civilisation romaine.

Quand la chute de l’empire eut détruit l’union entre la ville éternelle et les provinces et rendu à leur indépendance les peuples de l’Europe occidentale, les routes que les Romains avaient tracées sur leur territoire demeurèrent encore pendant bien des siècles les liens les plus puissans qui rattachassent ensemble les parties séparées du grand tout. L’unité politique avait disparu dans le monde romain, mais l’unité subsistait dans l’ordre intellectuel et moral ; elle était maintenue par ces mêmes liens que le peuple-roi avait établis pour retenir les provinces à la métropole. L’unité de la foi catholique avait remplacé l’unité de pouvoir ; les papes s’étaient constitués les héritiers des empereurs, et pour exercer leur autorité, ils avaient repris à leur profit tout ce qui avait survécu du système centralisateur de Rome. Ce n’étaient plus des armées, des magistrats, des citoyens se rendant aux comices qui parcouraient les voies, c’étaient des pèlerins allant chercher dans la ville sainte les enseignemens de la foi et de la piété, des prêtres et des moines chargés de maintenir entre le saint-siége et ses sujets d’incessans rapports d’obéissance, des docteurs qui allaient étudier la théologie, comme naguère les lettrés et les soldats de la Gaule, de l’Espagne, de la Bretagne, allaient apprendre dans la ville impériale la politique, l’éloquence et la guerre. Ainsi l’œuvre d’unification avait été si habilement conçue que les peuples barbares, quand ils voulurent s’unir par la religion et la science, durent prendre les mêmes voies que les Romains avaient jadis ouvertes pour se les assimiler et les absorber dans leur immense empire.

Alfred Maury.