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SCIENCES NATURELLES.

à son fils la manière de combattre les moas et de s’emparer de leurs dépouilles. Le poète décrit les orgies qui suivent une grande chasse lorsqu’elle a fourni un abondant butin. Dans le voisinage des anciens foyers des indigènes, on trouve d’énormes monceaux d’os de moa qui donnent une idée de ce qu’étaient ces repas de Gargantua. Quoi d’étonnant si, dans le cours de quelques siècles, la race de ces oiseaux géans a disparu du sol de la Nouvelle-Zélande ? Les cavernes où nous trouvons leurs squelettes étaient sans doute leur dernier asile.

Mais, une fois ces grands animaux détruits, où prendre un aliment comparable à celui qu’ils avaient fourni ? La population des îles s’était accrue avec une effrayante rapidité, la famine menaçait de nouveau ces habitans d’une terre inhospitalière. C’est alors que prit germe ce cannibalisme affreux qui naguère encore régnait dans ce pays infortuné. L’histoire de la Nouvelle-Zélande pendant le siècle dernier n’est qu’une longue suite de récits de guerres d’anthropophages ; mais ces monstruosités ont cessé en moins de vingt ans, lorsque l’introduction du cochon et de la pomme de terre par les Européens ouvrit à ces insulaires des ressources moins barbares. Le célèbre chef néo-zélandais Rauparaha, qui est mort il y a vingt ou trente ans dans un âge très avancé, avait connu les trois genres de nourriture : enfant, il avait encore mangé du moa ; devenu homme, il avait fait la guerre pour se procurer de la chair humaine ; vieillard, il dînait à la manière des Européens à bord d’un vaisseau anglais qui l’emmenait prisonnier.

Le cannibalisme même n’est qu’une des formes multiples sous lesquelles s’accomplit la lutte pour l’existence. C’est la faim, c’est le besoin qui poussent l’homme aussi bien que les animaux à s’entre-dévorer. Les Néo-Zélandais à la fin du siècle dernier, étaient comme des naufragés privés de vivres ; le sort des armes décidait qui d’entre eux devait servir de pâture aux autres. Aujourd’hui les indigènes ne s’exterminent plus entre eux ; mais la lutte continue toujours, seulement sous une autre forme. Placé en face des grands animaux, l’insulaire est sorti vainqueur du combat ; il était le plus fort. Aujourd’hui il se trouve en présence de l’homme blanc, c’est-à-dire d’une race supérieure à la sienne, et il doit succomber. Il ne s’agit point ici d’une guerre ouverte, il s’agit de ces influences multiples et mystérieuses qui font que, partout où la race caucasienne s’introduit, les indigènes lui cèdent peu à peu la place et finissent par s’éteindre. La diminution progressive et très rapide des sauvages indiens dans les forêts de l’Amérique nous en offre un exemple frappant ; mais on a fait la même observation en Australie, au cap de Bonne-Espérance, dans la terre de Van-Diémen, enfin partout ou les colonies des Européens ont rencontré des aborigènes à l’état sauvage.

La même lutte de rivalité continue, sans trêve ni repos, au sein des règnes animal et végéta], comme au sein des sociétés humaines. Ce qui est imparfait succombe, s’élimine, disparaît, cédant la place à des êtres mieux