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SYMPTOMES DU TEMPS

UN ESSAI DE ROMAN NATIONAL
PAR MM. ERCKMANN-CHATRIAN.

Rien assurément ne serait plus désirable que de rencontrer enfin, dans le roman comme ailleurs, ce que MM. Erckmann-Chatrian prétendent avoir trouvé, et de pouvoir dire le national comme on dit le beau, le sublime ou le grotesque. Cette trouvaille dissiperait les incertitudes des esprits inquiets, enclins à croire que le national de la veille n’est pas toujours celui du lendemain, que le mot et la chose varient suivant l’époque ou le degré de latitude. — National ! ne l’est pas qui veut, et n’est pas sûr de l’être encore qui se vante de l’avoir été. Il est parfois difficile de bien savoir ce que pense et ce que veut la nation tout entière, et de ne pas confondre la localité avec la nationalité. Tel parti fut national et ne l’est plus. Tel journal n’a porté ce titre que pour montrer à quel point il était illusoire, et a paru cesser de le mériter au moment même où la nation semblait lui donner raison. Fixer, fût-ce dans des œuvres d’imagination, cette volage épithète, ce serait une vraie bonne fortune, et il n’en faudrait pas davantage pour faire amnistier les imperfections ou les vulgarités de détail. MM. Erckmann-Chatrian l’ont essayé ; y ont-ils réussi ?

Soyons sérieux à propos de choses sérieuses et même tristes. La France n’avait pas su jusqu’ici mettre d’accord deux sentimens contradictoires : son goût très vif pour la gloire des armes et sa légitime reconnaissance pour les bienfaits de la paix. La question dès l’abord, après les dernières guerres de l’empire, fut posée à faux. Par un singulier effet d’optique dont la poésie fut complice et dont la liberté fut dupe, la popularité se trompa d’adresse ; elle se refusa aux pacificateurs pour se prodiguer aux Victoires et Conquêtes. On confondit tout, la nation, la bourgeoisie, l’armée,