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relle ne se renfermait pas dans une question de territoire, mais touchait aux intérêts du peuple et de l’humanité.

Il n’y a pas, dans la Maison forestière, d’autre écho des guerres de la révolution : le début est une idylle allemande, et c’est ici que l’on rendrait très volontiers justice aux auteurs, si on ne craignait de leur déplaire : qui sait si leur envie de se nationaliser ne les dispose pas à faire bon marché de leurs qualités de paysagistes ? Quoi qu’il en soit, les cent premières pages de la Maison forestière sont au nombre de celles qui ne nous laissent pas regretter les raffinemens d’un art plus délicat, les recherches d’une palette plus variée. En les lisant, on s’abandonne, on a d’emblée l’impression de ce qu’elles décrivent, et pourvu qu’on aime l’air libre, les courses à pied sous les grands arbres, dans les sentiers remplis d’ombre, ces pages vous donnent cette nostalgie des montagnes, des bois et des solitudes, qui est un des triomphes de la littérature descriptive. Par malheur, l’aimable récit tourne court ; l’idylle des fraîches amours du peintre Théodore et de la petite-fille du garde forestier a pour envers une sombre et sanglante histoire qui rappelle un peu trop Hugues-le-Loup, des mêmes auteurs. Nous passons brusquement du chalet tapi dans le feuillage au burg bâti dans le roc, du nid de colombe au nid d’orfraie. Ce bon vieux garde, cette innocente Loïse, plient sous le poids d’un sinistre héritage, qui, malgré ses airs fantastiques, pourrait bien rentrer dans le plan général des auteurs et représenter à leurs yeux le contraste de l’innocence moderne avec les crimes de la féodalité. Si Théodore ne peut pas épouser Loïse, si à certaines époques de l’année elle a des crises de sommeil magnétique qui font passer dans ses rêves une chasse de fantômes menée par des démons, la faute en est à Vitticab Burckar, dit le Comte-Sauvage, et à son veneur favori, Zaphéri Honeck, aïeul du vieux Frantz et complice des forfaits de Vitticab. Ce tableau du moyen âge germanique, le châtiment de ce farouche Burckar qui, à force de se conduire en bête fauve, finit par être pris au mot par la nature et par avoir pour fils un vrai monstre, la chasse fantastique qui nous montre Vitticab, pareil à un cavalier de ballade, arrivant au terme de sa course pour voir déchirer par ses chiens ce fils, pauvre créature intermédiaire entre l’homme et la bête, tout cet ensemble a de l’ampleur, du mouvement, et produit un effet habilement gradué de saisissement et de surprise. Nous n’en regrettons pas moins l’églogue matinale que cette formidable histoire condamne à ne pas avoir de dénoûment. Une moitié du volume s’adresse aux amateurs de beaux paysages, d’émotions douces, de naïves et poétiques tendresses ; l’autre moitié s’adresse au public ami des sensations fortes : l’ensemble du livre n’est pas un roman, ou plutôt le livre n’a pas d’ensemble.

Nous n’essaierons pas de déguiser nos sympathies pour Madame Thérèse. D’abord, si l’on nous permet de considérer un moment la gloire des armes et la délivrance d’une nation sous les traits d’une personne qui passerait par les différens âges et subirait les diverses conditions de la