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guerre victorieuse ; personne d’ailleurs ne met en doute que, sous le coup d’une défaite, non-seulement M. de Bismark serait forcé de quitter le pouvoir, mais le roi serait contraint d’abdiquer. Quelle que soit d’ailleurs l’issue de la guerre, une chose est certaine, c’est que l’esprit de l’Allemagne en sortira fortement surexcité, et la constitution germanique sérieusement modifiée. En face des calamités déchaînées sur eux et sur l’Europe par l’arbitraire monarchique, les Allemands éclairés ne repoussent même point la perspective d’une confédération républicaine. Sans aller jusqu’à cette extrémité, il est impossible qu’après la guerre le lien fédéral ne soit fortifié, et que les institutions fédératives ne soient retrempées dans la liberté et la démocratie. Pour voir l’avenir sous cette couleur, nous n’avons certes point la simplicité de nous laisser leurrera cette jonglerie de suffrage universel que M. de Bismark entend accommoder, en homme qui est de son temps, aux convenances du pouvoir despotique ; nous n’avons pas besoin d’accueillir avec trop de confiance les projets de réforme fédérale que l’on attribue aux gouvernemens restés fidèles à la confédération : il nous suffit d’avoir foi dans l’inexorable nécessité des choses.

C’est parce que nous croyons à un réveil vigoureux de l’esprit germanique, à une reconstitution plus vivace de la grande confédération allemande, que nous regrettons surtout le silence systématique auquel notre chambre des députés s’est condamnée sur des suggestions dont la prudence nous échappe. Il n’avait point suffi d’empêcher M. Jules Favre de s’expliquer sur l’état de l’Europe. À la fin de la session, il n’a point été permis à un des membres dont la probité d’esprit fait le plus d’honneur à la majorité, il n’a pas été permis à M. Larrabure de faire entendre tranquillement l’expression d’une opinion pacifique, écho incontestable des sentimens du pays. Nous ne pouvons parvenir à comprendre le danger qu’ont trouvé certaines gens dans une discussion semblable. Nous n’avons point ici en vue les intérêts particuliers de la France, qui eussent pu rencontrer en cette occasion d’utiles et habiles organes ; mais, au moment où les âmes de deux grands peuples sont émues par les passions et les misères de la guerre, n’eût-il pas été opportun de laisser voir quelque chose de ce qui se passe véritablement dans l’âme de la France ? Les sentimens patriotiques, les idées éclairées, le langage élevé des représentans naturels du pays, pouvaient-ils être considérés comme des intrus dans le débat solennel engagé en Europe ? Les manifestations des assemblées avec la libre variété d’opinions qu’elles comportent ne sont-elles point utiles au gouvernement lui-même ? N’y peut-il point trouver pour le présent des indications profitables, pour l’avenir, selon la tournure incertaine des événemens, des points d’appui précieux ? Considérera-t-on toujours chez nous la vie publique comme une chambre de malade ? Et alors où est le malade ? Croit-on qu’il n’existe dans le monde que des cabinets, et que l’influence des peuples les uns sur les autres, librement exercée par la saine ventilation des opinions, doive être toujours subordonnée aux entretiens confidentiels des diplomates ? Si