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LE DERNIER AMOUR.

— Que ne le disiez-vous ?

— J’en rougissais.

— Vous êtes bien étrange, monsieur Sylvestre ! Vous m’avez fait cruellement souffrir aussi, moi, car je vous ai cru dédaigneux et indifférent, et vous me /sachiez avec soin ce qui devait me consoler.

— Vous ne croyez donc pas que la jalousie soit une offense envers la personne aimée ?

— Je n’en cherche pas si long que vous ; la jalousie est inséparable de l’amour, et je suis fière de vous l’avoir inspirée.

Nous ne pensions pas de même, mais Félicie avait besoin de consolation et non de discussion, et d’ailleurs je ressentais auprès d’elle ce trouble délicieux qui fait l’amour indulgent sinon aveugle. Sa soumission instinctive à mon secret désir de voir éloigner le jeune baron me touchait profondément. Je l’en remerciai ; mais, honteux de mon égoïsme, je me hâtai de lui dire que je n’entendais pas faire durer longtemps la séparation qu’elle s’était imposée. — Vivons quelques jours tête à tête, lui dis-je. J’ai un immense besoin de vous voir sans être observé d’un œil d’envie, de vous parler et de vous entendre, sans qu’un témoin inquiet ou curieux nous écoute. Nous avons bien des choses à nous dire, car l’amour est un inconnu pour les amis qui se connaissent le mieux d’ailleurs. Nous ne savons pas ce qu’il sera pour nous ; ne cherchons pas trop à nous en rendre compte, ce serait peut-être impossible, mais préparons son règne sur nous par ce doux recueillement qui ouvre la porte aux songes dorés. Habituons-nous, par une entière confiance, à ne faire qu’une âme. Quand il en sera ainsi, que votre enfant revienne ! Je me sentirai bien fort contre les vaines chimères ou les justes susceptibilités qui m’ont tourmenté. S’il vous aime, comme je le crois, nous travaillerons ensemble à le guérir. Si je me suis trompé, vous me guérirez à jamais de l’injustice et du soupçon.

— Je vais vous dire la vérité, répliqua Félicie. Vous avez deviné quelque chose que vous ne comprenez pas. Tonino m’aime comme sa mère ou comme sa sœur, c’est-à-dire qu’il m’aime beaucoup et d’une bonne amitié ; mais au fond c’est en vue de lui-même, car il est égoïste comme tous les enfans gâtés. Ajoutez à cela qu’il est dans l’âge de l’amour, et que ses sens lui parlent pour toutes les femmes, pour moi comme pour les autres ; cela, j’ai été forcée de m’en apercevoir. Vous rougissez, monsieur Sylvestre, vous espériez encore vous être trompé ? Eh bien ! non ; il m’a désirée, il me désire, il me désirera peut-être encore. Si cela vous blesse, il ne faut pas qu’il revienne. Si cela vous est aussi indifférent qu’à moi, il reviendra, et je le marierai pour qu’il soit occupé d’une autre femme.