Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
312
REVUE DES DEUX MONDES.

il prononçait devant l’Académie des beaux-arts l’éloge de l’architecte Alberti, le discours sur le Sublime et Michel-Ange, de l’accent d’un homme qui cherche dans le passé une excitation pour le présent. Quand s’agitaient des questions de langue qui mettaient le feu à toutes les imaginations italiennes, que l’Autriche favorisait parce qu’elle y voyait un dérivatif ou un élément de plus de discorde municipale, Niccolini élevait ces questions au-dessus des vaines puérilités des pédans et les traitait en philosophe, en patriote. Jusque dans ces entraves de police qui comprimaient tout mouvement, il trouvait un stimulant pour son esprit. À côté du monde mort de la politique, c’était le monde vivant de la pensée. C’est ce qui explique ce renom de libéralisme qui est resté attaché à la Toscane d’autrefois.

À défaut de liberté dans la vie publique, c’était la liberté, une certaine liberté dans la vie privée et dans le domaine de l’intelligence. Pendant que les autres parties de l’Italie retombaient bientôt dans des convulsions nouvelles, se débattant encore une fois entre les révolutions et les réactions, la Toscane ressemblait à un territoire neutralisé. Florence était le centre de tout un mouvement brillant qui n’était pas seulement florentin, qui était peut-être encore plus italien. Je voudrais peindre ce mouvement toscan qui a laissé comme une trace légère et lumineuse dans l’histoire contemporaine. Là se réunissaient des hommes de toutes les contrées de la péninsule, le Napolitain Giuseppe Poerio, le Parmesan Pietro Giordani, Golletta, qui écrivait l’histoire de Naples, le Grec Mustoxidi, Giacomo Leopardi, le jeune mélancolique de Recanati, qui portait à Florence le douloureux fardeau d’un génie comprimé, Francesco Forti, le neveu de Sismondi, le publiciste de Pescia, qui développait avec une vigueur précoce ses théories sur la civilisation nouvelle, le philosophe Mamiani, le Vénitien Tommaseo, le sculpteur Bartolini et bien d’autres.

Il y avait des figures curieuses, aujourd’hui un peu effacées, comme Mario Pieri, cet Ionien qui avait eu presque autant d’aventures que son compatriote Foscolo, mais avec moins d’éclat. Il avait été secrétaire de la république septinsulaire sous Capo d’Istria ; il avait été successivement professeur à Trévise, à Padoue ; il avait voyagé partout, s’intéressant à tout et se liant avec tout le monde, avec Cesarotti, avec Pindemonte. Il avait écrit des vers pleins de feu et d’amour de la liberté, et sous l’empire il avait même adressé tout un poème à Napoléon pour lui proposer la gloire de faire l’Italie une et indépendante. Suffoqué par la domination autrichienne après la restauration, il avait fini par quitter l’université de Padoue et par aller se fixer à Florence, préférant la pauvreté et la liberté. C’é-