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voudrais qu’une bonne fois on dît : Nous sommes tous frères, tous Italiens, et alors je serais content de mourir. » Pur Florentin par les traditions et par le goût, vrai Toscan par le génie, il abdique devant la grande patrie dont il évoque l’image. Il ne cesse toute sa vie de faire la guerre à l’esprit municipal. De plus l’idéal de Niccolini, — et c’est là justement ce qu’il a de caractéristique, c’est là ce qui fait de l’auteur de Foscarini un précurseur — l’idéal de Niccolini, c’est l’Italie arrivant à l’indépendance et à l’unité par l’affranchissement de toute domination étrangère sans doute, mais aussi par son émancipation de la tutelle papale. Quand il préparait Giovanni da Procida, dès 1820, il écrivait : « Là est le nœud politique de la tragédie, et Procida n’est qu’un gibelin qui, comme l’Alighieri, veut que l’Italie soit une, que l’épée ne soit pas jointe au bâton pastoral. » Ni guelfe, ni gibelin, ni domination étrangère allant chercher sa consécration à Rome, ni domination papale vivant de l’appui de l’étranger, c’est la pensée d’Arnaldo da Brescia, ce vaste poème dramatique où le moyen âge revit avec ses fortes passions, ses préjugés et ses troubles, où du sein des villes en ruine s’élève le cri de l’Italie opprimée, tandis que César et Pierre, Frédéric Barberousse et Adrien, l’empereur et le pape, scellent leur alliance, mortelle pour la liberté des peuples.

Aussi, lorsque des questions d’indépendance se réveillaient plus que jamais au-delà des Alpes en 1846, lorsque sur les pas de Gioberti, de Balbo, l’Italie se précipitait vers un pape qui apparaissait la tête ceinte d’une auréole de libéralisme, Niccolini résistait-il au mouvement. Ce n’est pas qu’il fût insensible aux premiers actes de Pie IX, à l’amnistie, aux velléités réformatrices, aux promesses généreuses ; mais dans son esprit la vieille idée persistait. Ce qu’on tentait n’était pas possible selon lui, ou ne pouvait que prolonger l’asservissement de l’Italie. Entre Niccolini et la jeune école guelfe qui se formait, qui comptait surtout des adhérens dans l’université de Pise, les Montanelli, les Centofanti, il y avait une rupture complète, et comme toujours ce que l’auteur d’Arnaldo avait mis dans ses vers, il le développait dans ses conversations avec une verve inépuisable, avec une passion redoublée par les attaques dont il était l’objet. « Si j’ai tort, disait-il à un homme distingué, j’ai vécu en vain. Trompeuse a été pour moi la lumière de l’histoire, trompeuse la lumière de la philosophie. Les pensées qui ont inspiré mes paroles n’ont été que des illusions vaines, et il ne me reste qu’à faire publiquement amende honorable de mes erreurs… Dites à ces professeurs de Pise qu’ils recouvrent d’un voile la statue de Galilée, parce que, si Gioberti a raison, Rome a eu raison aussi de condamner Galilée. » On essaya de le gagner à l’enthousiasme