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beaucoup de pays. En revanche, les nègres, par cela seul qu’ils n’étaient que des esclaves, cultivaient mal. Une grande partie des terres ne rapportaient rien. L’étendue des plantations était ordinairement trop grande pour que les nègres attachés à la plantation pussent tout mettre en valeur. On ne cultivait dans une propriété qu’un certain nombre de champs, on les cultivait à outrance, sans les fumer ou en ne les fumant pas assez pour entretenir et rajeunir la fertilité du sol ; quand un champ était complètement épuisé, on passait à un autre où l’on procédait de la même façon.

On est étonné de trouver des procédés agricoles aussi barbares dans les florissans états du sud ; en y réfléchissant, on voit que c’est là un résultat direct de l’esclavage. Le planteur ne pouvait avoir de journaliers à côté de ses nègres, il ne pouvait augmenter sur son exploitation le nombre de bras qu’à la condition d’augmenter dans la même proportion le capital immobilisé par l’achat des esclaves, le black stock, comme on disait aux États-Unis. Il laissait donc une partie des champs en friche. C’est là une perte que l’on n’a pas fait entrer généralement dans le prix de revient du travail servile, et qui en bonne justice mériterait d’y figurer. Aujourd’hui rien n’empêchera de tout cultiver, — de là un notable accroissement dans la production générale. Un autre non moins important résultera des conditions nouvelles dans lesquelles vont se trouver ceux qu’on appelait les poor whites (pauvres blancs). À côté des riches planteurs vivaient ou plutôt végétaient ces parias de la population blanche. Trop pauvres pour avoir des esclaves, ne pouvant avoir de travailleurs libres, ils cultivaient eux-mêmes quelques champs étroits, gagnaient peu, vivaient mal, et étaient un objet de mépris pour leurs opulens voisins. Ces déshérités viennent de conquérir par l’abolition de l’esclavage des avantages importans. Rien ne les empêchera de prendre à leur solde les affranchis ; l’agriculture ne sera plus une sorte de monopole réservé aux grands capitaux ; les petits propriétaires pourront prospérer, et comme ils sont industrieux, laborieux, entreprenans et élevés à la rude école de l’infortune, il est bien certain que les efforts qui viendront de ce côté apporteront au chiffre des récoltes annuelles un appoint considérable.

Voici quelques chiffres qui permettront de juger combien la position des planteurs était fausse et combien elle sera en définitive améliorée au point de vue du rendement dans le nouvel état de choses. Une plantation occupant cent esclaves mâles et valides représentait en black stock au minimum un capital de 70,000 dollars. L’intérêt du capital, l’entretien des travailleurs et des bouches inutiles, la mortalité, la dépréciation produite par l’âge sur les individus, faisaient monter la dépense annuelle à 35 pour 100 de cette