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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

Puis, se rapprochant du jeune homme et lui frappant une seconde fois l’épaule : — Pourquoi ne viendriez-vous pas à la chapelle avec moi ? lui demanda-t-il.

Lesneven détourna la tête.

— Quoi ! reprit le maître des Aubrays, vous ne l’osez point ! La chapelle de Croix-de-Vie est à tout le monde, c’est la paroisse. Je vous croyais plus hardi. Si vraiment la passion vous tenait d’entrer dans ce château, vous sauriez bien m’y suivre…

Le jeune homme ne le laissa pas achever. Il avait reculé déjà d’un pas sans lui répondre. Le maître des Aubrays n’insista point, seulement il poussa ce ricanement qui lui était ordinaire, et qui ressemblait au grincement d’une roue trop sèche ; puis il entra dans la cour et de là dans la chapelle.

Lesneven était déjà bien loin. Il s’applaudissait de la froide mine qu’il avait opposée à la joie cruelle et si peu déguisée de son ancien hôte. Il n’avait montré naguère que trop de complaisance à écouter le furieux langage de ses passions farouches ; il n’avait que trop longtemps consenti à vivre près de lui, sous son toit effondré. Songeant à Siochan des Aubrays, il se dit qu’il n’y avait encore qu’une bête fauve de moins dans cette tanière. Les rumeurs du village de Sainte-Marie lui avaient appris à la longue comment Siochan était né et ce qu’il était aux Croix-de-Vie, C’est pourquoi l’air et les propos du maître des Aubrays à cette heure venaient de soulever dans le fond de son âme une généreuse houle d’indignation et de colère. Il avait eu la pensée de lui barrer le passage, de défendre l’entrée de la maison à ce gentillâtre grossier, qui se donnait le féroce plaisir d’y apporter lui-même cette nouvelle de deuil, cette menace, ce mauvais présage ; mais ce n’était pas son affaire, défendre Croix-de-Vie ne le regardait point. Il s’éloignait.

Le vent d’automne, lourd, égal, soufflant ce jour-là sans fureur, mais aussi sans trêve, remplissait la forêt de sa vaste plainte. Parfois le bruit du bois mort se cassant aux branches, ou bien le claquement métallique des houx entre-choquant leurs pointes vertes, jetaient une note plus précise et plus claire, mais non moins triste au milieu de cette lamentation incessante. Lesneven marchait sur l’épaisse litière des feuilles sèches ; rien que des débris sur le sol, au ciel des nuées et toujours ce vent lugubre. L’ancien garde-général songeait au sentiment qu’il avait éprouvé quatre mois auparavant en foulant du pied pour la première fois cette terre des tempêtes et des batailles. Sa conscience criait alors, son cœur protestait contre tant de souvenirs encore saignans et vivans qu’il trouvait sur son passage. Ses yeux troublés cherchaient dans le gazon les tertres qui recouvraient les morts. Eh bien ! il l’aimait à