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Voltaire, écrites à plus de cent correspondans, tant français qu’étrangers, même à des souverains; — la communauté de possession rapprochée de la diversité d’origine sera-t-elle ici un motif de suspicion légitime en matière d’authenticité ? Toutes les lettres de Voltaire au grand Frédéric sont-elles où elles devraient être, c’est-à-dire dans les archives de Prusse? Non assurément, j’en possède, et j’en sais de très nombreuses encore dans les collections privées. Or la question des lettres de Marie-Antoinette est identique.

« Où a-t-on eu tout cela? » s’écrie incessamment la jalousie ou la curiosité, la jalousie surtout, et après elle la critique, qui, sans s’en douter, se fait l’organe de l’une et de l’autre. On a eu tout cela avec le temps, qui, s’il détruit, sait aussi édifier; on a eu tout cela par la puissance attractive d’une idée fixe, par la persistance de la volonté et de sacrifices pendant quarante à cinquante années, ce qui n’implique pas, ce semble, qu’on soit de plano dupe constante de fabrications; on a eu tout cela comme la fourmi meuble son grenier d’hiver; on a eu tout cela sou à sou, comme ces gens à vie économe et sévère qui laissent des sommes considérables après leur mort.

Quand on tient de première main un document, la réponse sur la question va de soi, mais la plupart du temps on ignore par quelles filiations ont passé les pièces qu’on possède. A part les archives d’état proprement dites, dont le titre parle assez de lui-même, ouvrez les grandes collections publiques ou privées; prenez une à une les pièces qu’elles ont acquises, et dites s’il ne serait pas impossible d’assigner avec netteté la provenance de tous ces documens quos fama obscura recondit. Pourrait-on, depuis sa source, tracer la filière suivie par la masse si considérable de papiers français qu’a recueillie le Polonais Dobrowsky sous nos pavés révolutionnés en 93, documens qui font aujourd’hui la richesse de la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg? Saurait-on remonter pas à pas à l’origine des lettres de la grande collection formée en France sous l’empire et la restauration par le lord Egerton de Bridgewater, et qui constitue de nos jours un des ornemens du Musée britannique? Essayez de vous rendre compte de la marche des pièces trouvées sur la personne de Charlotte Corday lors de son arrestation après la mort de Marat. L’une de ces pièces, la fameuse adresse de Charlotte aux Français, se trouve d’abord, on ne sait comment, dans la possession du moine Chabot, qui ramassait les épaves révolutionnaires, comme le faisaient de leur côté Robespierre, Courtois et d’autres encore, et voilà qu’un jour on la voit briller aux mains de notre contemporain le célèbre avocat Paillet, pour être signalée