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Mme Du Barry. Nous reviendrons avec développement plus loin sur cet intéressant détail à propos d’une lettre controversée relative à cette favorite.

Occupons-nous maintenant d’un point non moins discuté, à savoir la différence d’esprit et de ton qu’on trouve entre les lettres publiées à Paris et les lettres publiées à Vienne. On n’écrit pas toujours d’un ton uniforme, même à sa mère, à plus forte raison à sa sœur. Lorsque dans les lettres en question cette différence se manifeste, elle est relative, elle est sans disparate criante, et d’ailleurs s’explique. On a exagéré dans tous les cas, et voir de plano des apocryphes en des lettres parce que l’identité de manière et de style avec d’autres lettres du même personnage n’est pas absolue serait de tout point déraisonnable. Le plus souvent, quand Marie-Antoinette écrivait à sa mère, dont elle avait peur, elle se mettait tout d’abord sur la défensive et s’efforçait à plus de réserve; elle se faisait en quelque sorte plus Allemande pour lui complaire. Le critique persiste néanmoins à dire que le contraste du tour et des idées est continuel et frappant entre les lettres de différente origine. Eh bien ! pour ma part, après une nouvelle étude comparative des textes, je ne puis pas ne point persister dans l’opinion contraire, qui est également celle de M. Charles de Mazade, comme celle d’autres esprits élevés non prévenus[1].

M. Geffroy a exagéré en relevant quelques-unes des prétendues disparates et dissonances. Il s’est étonné de ce qu’en général chacune des lettres françaises traitât « d’un sujet particulier; il y en a une, dit-il, sur la vie de Compiègne, une sur le mariage du comte de Provence, une sur une prise de voile à Saint-Cyr, une sur madame Elisabeth, » tandis que les lettres allemandes traitent de plusieurs sujets à la fois. Pourquoi pas? et qu’y a-t-il là qui doive surprendre? D’abord ce ne sont pas toutes des espèces de monographies, comme le critique se plaît à le remarquer; tant s’en faut : sur cent, il en relève quatre. Qu’est-ce à dire? Est-ce que des lettres familières seront toutes forcément taillées sur le même patron? Sont-ce donc des épîtres, des essais de rhétorique à la façon des lettres de Pline? Prétendra-t-on que la libre allure ne soit plus le caractère du genre épistolaire, cependant soumis à tant d’influences et de variations? La mobilité d’humeurs et d’impressions ne sera-t-elle plus l’attribut de la nature humaine? J’avoue que les phrases détachées par M. Geffroy, l’espèce de cahier d’expressions qu’il a relevées, n’ont rien qui me choque. Marie-Antoinette, au témoignage de Sénac de Meilhan, avait quelque chose qui tenait de l’inspiration et qui lui faisait trouver au moment ce qu’il

  1. Voyez son article de la Revue, n° du 15 juillet 1865.