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trente et un autographes. Le reste est copie, toujours copie. Comment les critiques expliquent-ils ces lacunes dans une correspondance de famille conservée en de si inviolables palais ? L’impératrice, diront-ils, aura détruit les originaux, comme elle avait annoncé devoir le faire; mais alors, si elle les voulait anéantir, pourquoi en tirer copie? Or, de ces originaux qui viendraient servir de lien entre les séries française et allemande et dont quelque jour le hasard, cet incognito de la Providence, comme l’appelait Michaud, fera découvrir la partie cachée ; — de ces originaux je possède une pièce : il eût pu tout aussi bien m’en venir trente. Le fait de la possession de cette seule est contre les critiques un argument sans réplique. Ils l’ont si bien senti qu’ils n’ont pas manqué de recourir à leur ressource habituelle : ils en ont nié l’authenticité graphique, arrêt sommaire et de justice commode, mais thèse usée maintenant. Il eût fallu qu’un faussaire, s’escrimant sur le vrai, fût assez devin pour fabriquer tout juste cette lettre et non une autre, celle-là que l’on avait deux fois en copie à Vienne, dans deux séries diverses, l’une connue, l’autre secrète. En résumé l’on comprend que les adversaires n’aiment pas que l’on argumente des lacunes de la collection viennoise; mais, soyons de bonne foi, ces lacunes expliquent et lèvent bien des difficultés et constituent un point capital dans la discussion. Oh! que si les lettres par moi imprimées et qui vont se fondre dans les dossiers Arneth tombaient aux mêmes jours, traitaient des mêmes sujets, en un mot allaient se choquer contre la vraisemblance en faisant double emploi, je comprendrais les airs de dédain et les récriminations de l’attaque; mais il n’en est pas ainsi : les documens que j’ai donnés de la catégorie discutée, en petit nombre du reste, complètent ceux de Vienne; ils en sont des dérivés.

Marie-Antoinette avait bien des motifs, indépendamment de la recommandation que lui avait faite sa mère, pour commencer ses lettres à l’avance et pour varier ses envois : elle recevait de Vienne des lettres par tous les côtés. « Voyant, lui écrit l’impératrice le 4 mai 1773, le tendre intérêt que vous prenez à nous, vous serez servie, et toutes les semaines vous recevrez une lettre de vos sœurs ou frères qui le font avec plaisir pour vous en procurer[1]. » L’ancienne gouvernante, la comtesse de Brandis, était aussi du nombre des correspondantes hebdomadaires. La jeune dauphine n’eut pas toujours ces quatorze ans et demi qu’on rappelle à satiété. A mesure que les mois et les années marchèrent, elle prit l’habitude d’écrire davantage, et elle eut le temps de

  1. Arneth, p. 85.