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Barry arrache à la dauphine; est-ce que l’antipathie chez un noble cœur n’a plus le droit d’être impartiale?

La critique ne se risque pas à affirmer péremptoirement que la reine, à l’époque où elle prit part aux affaires, n’a point écrit des minutes, qu’elle n’a point fait ou fait faire des copies de ses lettres. « Vous me garderez cette lettre : je serai bien aise de la revoir un jour, » disait-elle quand elle se voyait pressée par le prompt départ d’un courrier diplomatique ou de tout autre messager, et qu’elle prévoyait ne pas avoir le temps de faire transcrire un double. On sait qu’elle amassait des dossiers et des notes pour écrire des mémoires. Comme toute âme haute, elle pensait à la postérité. Mais peut-on raisonnablement prétendre qu’elle n’ait jamais fait un brouillon dans les premières années qui suivirent son arrivée à Versailles? C’est le contraire, ce semble, qu’il faudrait plutôt admettre, quand on connaît sa force de volonté à surmonter sa paresse, quand on se rappelle tous les ennuis que sa mauvaise écriture, que ses mauvaises dictées lui avaient valus. Si trop souvent le mouvement de cour dut la distraire et la dissiper, il ne faut pas oublier que, dès l’époque de son éducation à Vienne, au rapport de Vermond, elle se montrait « fort capable de raisonnement et de jugement, surtout dans les choses de conduite[1]. » A Versailles et dans les autres résidences royales, elle écrivait le soir et de bon matin, comme le rapporte l’abbé lui-même. D’ailleurs, une fois reine, elle fut bien plus maîtresse de sa personne; elle avait secoué ces terreurs enfantines qui lui faisaient croire que tout le monde en voulait à ses papiers. Les soins du trône, les audiences, les chasses, les ouvrages mécaniques préoccupaient le roi, et Marie-Antoinette eut bien plus de loisirs, quand il lui plut de s’en créer et de s’isoler. Elle put faire des brouillons ou des copies tout à son aise.

Quelque « pédant » (c’est un mot de M. de Sybel) avait prétendu que les lettres étaient suspectes à raison de l’inexactitude des noms donnés et des signatures. Rappelons d’abord que toutes les filles de Marie-Thérèse avaient reçu le prénom de Marie, et que généralement, dans les relations de pure intimité, elles se distinguaient entre elles par leur second prénom. L’aînée, Marie-Christine, était la Marie par excellence. Marie-Élisabeth, qui habitait un couvent à Inspruck, était désignée sous le nom d’Elisabeth tout court. Une autre archiduchesse avait été nommée Marianne de ses deux prénoms réunis. Marie-Caroline, depuis reine de Naples, était connue sous son second prénom de Caroline ou Charlotte, etc., et la plus jeune, notre dauphine, était l’Antoinette tout court, et

  1. 14 octobre 1769. Arneth, p. 359.