Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tiquette, toujours faciles à lever pour un homme au moyen de l’incognito, mais inextricables pour une femme qui n’était pas tête couronnée. Eh bien! cette entrevue, qui eut lieu en 1786, avait laissé des traces de la main de la reine, puisqu’une lettre de Joseph II, copiée par moi chez Mgr l’archiduc Albert et imprimée à la page 120 de mon troisième volume, dit formellement que la reine avait écrit à sa sœur pour l’inviter. Où est la lettre de Marie-Antoinette? On la chercherait en vain où elle devrait être.

Ne trouve-t-on pas encore une preuve nouvelle de l’existence des relations écrites entre les deux sœurs dans l’anecdote de ce riche négociant des colonies, M. Péraque, père de M. d’Oudenarde, qui, venant de Bruxelles à Paris lors des premières commotions de 89, fut averti à un relais que tout porteur de lettres à l’étranger, surtout pour la reine, courait le risque de la vie. Or il avait dans son portefeuille une lettre de l’archiduchesse Christine pour Marie-Antoinette. Alors il prit sur lui de la décacheter, fit l’effort surprenant pour son grand âge de l’apprendre par cœur, la transcrivit à Paris et porta sa copie à la reine émerveillée[1].

Ce n’est pas tout, Marie-Thérèse avait stipulé dans ses instructions de 1770 à la dauphine qu’elle pourrait écrire au prince Albert; elle a donc dû lui écrire. Encore une fois, où sont les lettres? Nulle trace ni de cette correspondance ni de celle de la reine, hormis la lettre du 29 mai 1790, pas même de ces communications d’étiquette ou de familiarité des événemens de famille. Est-ce naturel? Est-ce explicable? Est-ce possible? N’est-il pas évident que tout un dossier a disparu.

On objecte, il est vrai, le passage obscur et équivoque que j’ai cité moi-même (t. III, p. 132) des mémoires manuscrits du duc de Saxe-Teschen, duquel il semblerait résulter que Christine n’aurait guère été à même de connaître cette sœur avant son départ de Vienne, — et qu’avant ce départ de mauvaises langues l’auraient prévenue contre Marie-Antoinette, comme si tous les enfans de Marie -Thérèse, élevés avec la simplicité lorraine, ne vivaient pas, quel que fût leur âge, en cercle de famille, comme si une sœur aînée, une femme de vingt-quatre ans, pouvait entretenir des préventions malignes contre une petite sœur, contre une enfant de onze ans, si douce, affable et avenante! On comprend à merveille la diversité de nuances dans l’amitié de deux sœurs si différentes d’âge; mais le temps a bientôt rétabli le niveau. Du reste, le duc n’a déclaré formellement en aucun endroit de ses mémoires que, depuis son mariage avec Christine, il n’ait point

  1. Mémoires de Mme Campan, t. II, p. 55.