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LE DERNIER AMOUR.

comme de coutume, elle aura l’air de dormir et de manger. Elle sera même gaie, si elle craint de vous affliger ; mais elle aura une fièvre violente, et elle la gardera tant que vous n’aurez pas fait rentrer dans l’esprit le rayon consolateur. Les prescriptions du médecin n’y feront rien ou presque rien ; soyez donc le médecin de votre femme ; Moi, je suis un ami et non un charlatan.

Cette conversation laissa en moi une certaine inquiétude, et, durant plusieurs jours, j’observai Félicie avec une attention plus grande. Je ne découvris rien qui ne me fût déjà connu. Son impressionnabilité datait certes du jour de sa naissance, et ce qui eût été maladie ou destruction pour moi était pour elle action et vitalité. De ceux qui comprennent de telles organisations, les médecins sont les derniers, surtout les vieux médecins instruits et raisonnables. Malgré eux, ils voudraient ramener la nature à la logique naturelle : quoi de plus sage ? Mais il se trouve souvent que les types anormaux auraient besoin d’échapper au contrôle de la raison. Peut-être à la folie faudrait-il un traitement antirationnel.

Pourtant je m’efforçais de faire prédominer le simple bon sens dans l’esprit agité de ma compagne, et j’y avais mis tant de patience et d’adresse, j’avais couvert les dehors de l’enseignement avec tant d’enjouement et de douceur que je croyais être arrivé au but. Comment expliquer le désastre qui m’atteignit au milieu de ma confiante sérénité, le coup qui me frappa en pleine poitrine, le déchirement de ce voile du sanctuaire où reposaient ma foi et mes illusions ?

Un jour Sixte More passa près de moi dans la montagne. Je savais qu’il avait assez mal parlé de moi, et il me sembla qu’il étai embarrassé pour me saluer. L’âme sans tache et sans reproche sourit de ces attaques et n’en connaît pas la blessure. Je l’abordai le premier et lui demandai des nouvelles de sa famille. Il se troubla tout à fait, haussa les épaules, et s’éloigna d’un air de dépit ou de dédain. Je restai où j’étais, le suivant des yeux. Il se retourna, fit un geste de menace, et puis quelques pas pour revenir à moi. Je l’attendis, il s’arrêta, et nous nous regardâmes dans les yeux, lui exaspéré, moi surpris, mais tranquille.

Tout à coup il prit son parti, leva son chapeau, et, venant tout près de moi, il me tendit sa main, que je reçus dans la mienne en regardant toujours l’expression de son visage. J’y vis du trouble et point de perfidie. Je vous ai dit déjà qu’il était honnête homme, et je le connaissais pour tel.

— Il vous est arrivé quelque malheur, lui dis-je ; que puis-je faire pour vous ?

— Rien, répondit-il, mais il faut que vous sachiez mes peines. Je ne peux pas m’empêcher de vous les dire, à vous que je n’aime