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LE DERNIER AMOUR.

recommençai à cueillir des fleurs et des herbes sans montrer la moindre agitation.

Depuis un instant, j’étais observé en effet ; mais ce n’était pas par Sixte More, c’était par Tonino, que je’vis tout à coup sortir d’un coude que le rocher faisait au-dessus de moi. Il m’avait vu le premier, il avait eu le temps de composer son visage. — Que diable faites-vous là, mon père ? me dit-il en souriant et en me caressant de son beau regard, limpide comme une source de montagne.

— Tu le vois, lui dis-je ; je cueille ces fleurs qui m’ont tenté.

— Cueillez, dit-il ; la cousine les aime beaucoup. Je passe quelquefois ici, c’est mon plus court pour aller vous voir, et quand je lui en porte un bouquet, elle me dit toujours : Où prends-tu de si belles fleurs ?

— Tu venais chez nous ? repris-je ; il y a longtemps qu’on ne t’a vu.

— Ah ! que voulez-vous ? Avec des petits sur les bras, une femme qui sèvre l’un pour nourrir l’autre ! Je ne la laisse guère seule.

— Et tu fais bien. Allons, viens voir ta cousine.

— Elle va me gronder.

— Pourquoi ?

— D’abord pour n’en pas perdre l’habitude, et puis parce que je ne lui ai pas donné signe de vie depuis un mois.

— Eh bien ! elle te grondera et elle te pardonnera.

Nous suivîmes ensemble le sentier par où Félicie venait de fuir. Il était bien évident pour moi que Tonino ne pensait pas que je l’eusse aperçue ; mais l’avait-il aperçue lui-même ? Savait-il qu’elle était venue là ou qu’elle venait d’y passer ? Il était si calme et si souriant que je ne pouvais croire à une trahison. Rien ne m’expliquait la présence de Félicie en ce lieu particulièrement sauvage ; mais sans doute ce hasard allait s’éclaircir naturellement dès que nous la rejoindrions.

Tout en maîtrisant mon émotion, je marchais vite. Tonino m’arrêta à plusieurs reprises sous différens prétextes très vraisemblables et d’un air très naturel.

Tant il y a que Félicie était rentrée depuis au moins dix minutes quand nous rentrâmes nous-mêmes. Elle avait eu le temps de changer de chaussures et de se recoiffer. Comme elle prenait ces soins tous les jours avant de se mettre à table, je lui demandai fort simplement si elle était sortie. J’attendais une réponse simple, vraie, plausible ; elle me répondit avec assurance par un mensonge. Elle dit non !… Je répétai ma question comme si quelque distraction m’eût empêché d’entendre la réponse. Elle répondit non !…

Je sentis un vertige passer devant mes yeux et je ne sais quel frisson de mort dans tout mon être.