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même semble se séculariser, et la forme du gouvernement est démocratique.

Au moyen âge, par suite de la désorganisation et de l’appauvrissement de la société tout entière, l’ignorance redevint générale, et dans toute la triste Europe de ce temps-là elle présente un caractère plus morne, plus accablant, plus barbare que dans les régions lumineuses de l’Orient. L’église seule avait sauvé quelques traditions de la culture ancienne ; elle savait quelque chose au milieu d’hommes qui ne savaient rien. Les couvens étaient les académies, et les évêques les philosophes. Comme en Égypte, comme en Étrurie, tous les arts et toutes les sciences portaient la robe sacerdotale. Ayant plus de connaissances en tout, ouvrant en outre à leur gré les portes du ciel, les prêtres eurent sans peine les richesses et le pouvoir. On vit renaître la théocratie, mais sous une forme mitigée, parce que les croyances au nom desquelles elle s’établissait reposaient au fond sur le principe de l’égalité, et parce que les populations européennes appartenaient à une race faite pour la liberté. Méconnaissant ces germes de l’affranchissement futur, l’église crut que désormais le pouvoir suprême lui appartenait : cette souveraineté, qui n’était qu’un fait, elle l’érigea en droit. Les fausses décrétales, les bulles papales et les écrits des théologiens proclamèrent la toute-puissance du sacerdoce. La théorie de la théocratie fut formulée avec une netteté incomparable. « Tous les hommes, même les princes de la terre, doivent courber la tête devant les prêtres, » disent les décrétales. « De même, dit saint Bonaventure, que l’esprit l’emporte sur le corps par sa dignité et son office, de même le pouvoir spirituel est supérieur au temporel, et il mérite, à cause de cela, le nom de domination, d’où il suit que la puissance royale est soumise à l’autorité ecclésiastique. » Le docteur le plus ami de la liberté de cette époque, celui que l’église appelle le docteur solennel, Henri de Gand, ne tient pas un autre langage. « Jésus-Christ, dit-il, comme homme, est le chef et le roi unique de l’église, car il a dit à ses apôtres : Puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. — Il a conféré ce double pouvoir à saint Pierre en lui donnant les deux clés et les deux glaives. D’ailleurs, par cela même que l’église a le pouvoir spirituel, elle doit avoir le pouvoir temporel: en effet, les choses temporelles ne peuvent être réglées que d’après le spirituel, de même que le moyen est subordonné au but. « Le jour où le pape posa son pied triomphant sur la tête humiliée de l’empereur dans les fossés du château de Canossa, il put croire que la théorie des décrétales et des docteurs l’emportait définitivement, et que désormais il allait être le maître suprême de ce monde, le dispensateur des couronnes, le pasteur des peuples. Il se trompait ; au lieu d’être le premier jour de l’ère théocratique,