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de séparer de la morale les principes de toute religion particulière et de n’admettre dans l’enseignement public l’enseignement d’aucun culte religieux. Chacun d’eux doit s’enseigner dans ses temples par ses propres ministres. Les parens, quelle que soit leur opinion sur la nécessité de telle ou telle religion, pourront alors sans répugnance envoyer leurs enfans dans les établissemens nationaux, et la puissance publique n’aura point usurpé sur les droits de la conscience sous prétexte de l’éclairer et de la conduire. »

En ce point comme en beaucoup d’autres encore, la France a eu l’honneur de proclamer les vrais principes avec plus d’éclat et de rigueur qu’aucun autre peuple; mais elle a échoué quand il s’est agi de les appliquer, La raison s’en découvre aisément : malgré le prodigieux effort de 93, malgré ces violences qui épouvantèrent et ébranlèrent l’Europe, la France n’avait pas échappé aux liens de l’ancienne foi théocratique. Celle-ci vivait au fond des cœurs de ceux même qui pensaient l’avoir secouée à jamais, parce que la foi ancienne n’est jamais définitivement extirpée tant qu’elle n’est pas remplacée. Il y a dans l’âme humaine une certaine place qu’on peut laisser vide quelque temps, mais où les anciennes croyances finissent toujours par repousser, quand on n’y en a pas semé de nouvelles. Le culte de la majorité des Français étant en contradiction complète avec le principe de la séparation de l’église et de l’état, le clergé eut bientôt reconquis son pouvoir, surtout dans la sphère de l’enseignement primaire. Tandis que la France perdait l’école laïque, la Hollande et les États-Unis surent au contraire l’établir et la maintenir, parce qu’elle était conforme aux tendances du culte dominant et rendue nécessaire par la diversité des sectes, résultat de la liberté mise en action. En matière de réformes sociales, tout ce qui se fait avec le concours des idées religieuses réussit facilement et persiste, tout ce qui se fait sans elles s’établit avec peine, s’applique mal et ne dure guère. En 1848, M. Edgar Quinet, pénétré dès longtemps de toute l’importance de la question, proposait à l’assemblée nationale de revenir aux traditions de la révolution et d’adopter le système qui donnait de si bons résultats en Hollande et aux États-Unis. Ce fut en vain; sa proposition ne trouva qu’un faible appui dans l’assemblée issue de la révolution de février. Bientôt la législature, sous l’empire d’idées de réaction, loin de restreindre l’influence du clergé, s’efforça de l’accroître. L’instituteur continua d’être chargé de l’instruction religieuse sous la di- rection du curé. C’est le système en vigueur dans tous les états catholiques de l’Europe, sauf en Portugal, où tout droit d’intervention dans l’enseignement public est refusé à l’église.

Le système français actuel est mauvais sous bien des rapports. Il est en contradiction avec le principe fondamental de la société mo-