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LE DERNIER AMOUR.

était rajeunie ; la douceur, la mélancolie touchante, régnaient sur son front désormais à toute heure. Telle elle m’apparut au seuil de la chambre ;… mais pourquoi Tonino avait-il pris la fuite à mon approche ?

Je ne sus que lui dire ; mon cœur plein de confiance s’était tout à coup glacé. Elle ne me demanda pas ce que je voulais, elle n’avait plus pour moi que de muettes prévenances, ses yeux même n’osaient interroger les miens, elle était devenue timide comme une enfant ; mais elle se tint debout et immobile comme si elle eût attendu mes ordres.

Je secouai mon embarras en voyant la délicate pudeur de son âme. — Félicie, lui dis-je, vous avez joué quelque chose d’admirable. J’avais besoin de vous en remercier, comme si vous l’aviez joué pour moi ; mais vous ne pensiez peut-être qu’à celui qui vous l’a enseigné ?

— Personne ne me l’a enseigné, répondit-elle. C’est quelque chose qui m’est venu je ne sais comment, et je ne saurais pas dire ce que c’était.

— Vous ne pourriez pas le redire ?

— Non, je ne crois pas. C’est déjà envolé !

— Mais Tonino s’en souviendra, lui ?

— Tonino ? Pourquoi lui plus que vous ?

— Peut-être sait-il mieux écouter ! Et j’ajoutai en m’efforçant de sourire : Quand on écoute aux portes !

Elle me regarda avec un étonnement profond. Évidemment elle n’avait rien su de la présence du jeune homme, et elle ne comprenait rien à ma lourde épigramme. Je fus honteux de moi-même, j’essayai d’être sincère ; mais, comme j’allais parler à cœur ouvert, je vis Tonino sur le sentier par où j’étais venu. Il savait très bien, lui, que de là on pouvait voir dans la salle, et il m’épiait d’assez près pour que son sourire ironique ne pût m’échapper. Je sentis encore une fois qu’il était l’obstacle mystérieux, insurmontable peut-être ! La crainte d’être raillé par cet enfant et de devenir ridicule à mes propres yeux par un sentiment de méfiance puérile fit écrouler mon rêve d’expansion. Je demandai un verre d’eau de source à Félicie, comme si je n’avais quitté mon travail que pour me désaltérer. Elle se hâta de l’aller chercher, et je pris un livre que je feignis de lire en attendant. Les yeux noirs de Tonino étaient toujours sur moi. Ils me menaçaient comme deux flèches. Du moins je m’imaginais cela, car je les sentais sans les voir, et quand je relevai la tête, il était parti ; mais il ne pouvait être loin, il était peut-être mieux caché pour m’observer. J’étais humilié et irrité intérieurement. Félicie m’offrit un vase et versa l’eau de l’aiguière.