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datant d’hier, mais grandissant chaque jour dans la lutte, la jeune liberté, fière de ses derniers succès et déjà sûre de ses destinées. Ni l’une ni l’autre ne triomphèrent à Lützen, mais la cause protestante y gagna l’honneur des armes. Wallenstein fit deux fautes : il se tint trop à l’écart du combat, demeurant dans sa litière[1], et de là donnant ses ordres et guidant ses lieutenans avec une force d’esprit admirable, mais n’animant pas ses troupes en se montrant à leur tête, au moins sur la fin de la bataille, pour disputer obstinément et peut-être arracher la victoire à l’ennemi. Puis, le combat à peine terminé, il laissa si vite le champ de bataille aux Suédois que lui-même il sembla se reconnaître vaincu. Gustave-Adolphe ne fit qu’une faute en sens contraire, faute héroïque, mais irréparable, et qui faillit devenir funeste à son armée et à sa cause : abusant de sa maxime que celui-là n’est pas digne de commander à des soldats qui ne leur donne pas l’exemple[2], au lieu de laisser s’engager l’affaire sous des chefs tels que ceux qu’il avait choisis et d’attendre le moment d’intervenir lui-même pour décider la victoire, il se jeta d’abord dans la mêlée comme s’il eût été un simple colonel et se fit tuer presque au début. Et quels hommes encore Gustave et Wallenstein n’avaient-ils pas avec eux! Les lieutenans du généralissime autrichien étaient Papenheim, Piccolomini, Galas, Colloredo, Holck, Mérode, Isolani, etc. Gustave-Adolphe, comme tout grand général, tenait en son camp école de guerre; c’est ainsi qu’il avait formé cette suite de capitaines éminens qui, après lui, sauvèrent la Suède et le protestantisme. Bornons-nous à citer Bernard de Saxe-Weimar. Du petit monticule où je suis, avec une carte passable, on se peut donner aisément le spectacle de la bataille et de ses principales scènes[3].

  1. Le Soldat suédois. Rouen, 1633, p. 474 : « La goutte, ne lui permit pas de se montrer en une autre posture qu’en une litière. Cet équipage fut sujet à diverses interprétations : les uns crurent qu’en effet il sentait les atteintes d’un mal qui lui était fort familier; les autres trouvèrent cette posture de mauvaise grâce en un jour de bataille, et jugèrent que Wallenstein avait envie de se conserver à son maître et à son parti. » — Voyez la même accusation dans les mêmes termes, Mercure de France, 1632, p. 672.
  2. Mémoires de Richelieu, t. VII, p. 266 : « Il avait accoutumé de dire qu’un roi n’était pas digne de porter la couronne sur la tête, qui faisait difficulté de la porter partout où un simple soldat pouvait aller. »
  3. On peut en général se fier au récit de Schiller, qui, pour être éloquent et pathétique, n’en est pas moins clair et exact. Pour de plus amples informations et la critique des points incertains, voyez l’ouvrage classique d’Arkenholtz, Histoire de Gustave-Adolphe, in-4o, 1704. Arkenholtz s’appuie presque toujours sur Khevenhuller, lequel a connu et cité la relation même de Wallenstein tirée des archives impériales. Il ne faut pas négliger non plus le témoignage de Richelieu, allié et admirateur de Gustave-Adolphe, qui écrivait ayant sous les yeux les dépêches des agens envoyés par lui auprès du roi de Suède, Charnacé, peut-être, Feuquières ou Arnauld, tous les trois gens de guerre expérimentés.