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appris quelles furent les vraies origines de la chevalerie. Qu’on nous parle de chevaliers, nous voyons aussitôt Rossinante, des chemins poudreux, des moulins à vent. Lisez les chroniqueurs, et vous y verrez que les chevaliers errans, les chercheurs d’aventures qui couraient le monde pour se procurer los et renom (et Dieu me garde d’en médire !) n’apparurent que sur le tard, lorsque la société féodale penchait déjà vers son déclin. Le bras royal s’allongeant indéfiniment, nos barons se sentaient menacés dans leurs châteaux ; on n’était plus à l’aise chez soi, on s’en allait courir ; mais les vrais chevaliers furent chevaliers tenanciers, non chevaliers sans terre, et à l’origine l’ordination chevaleresque fut la solennelle cérémonie qui accompagnait la mise en possession de la première tenure, et dont les moindres détails représentaient vivement au néophyte l’idée que se faisait le moyen âge de la propriété. J’ai lu dans la chronique des consuls d’Anjou que, vers le milieu du XIe siècle, un jeune homme supplia le comte d’Anjou de le faire chevalier quelques mois avant l’âge réglementaire pour qu’il pût tenir une terre qui lui était offerte à charge d’hommage. Avant d’avoir reçu la colée, un jeune noble était inhabile à tous les actes de la vie civile : il ne pouvait signer un acte ni une charte de donation, ni sceller une lettre à son sceau. Plus tard il fut ordonné par les établissemens de saint Louis que si l’on réclame à un jeune homme quelque chose de son héritage, et qu’il ne soit pas encore chevalier, il lui sera accordé un délai d’un an et deux jouis pour se faire adouber, que jusque-là toute action judiciaire sera suspendue. Vous le voyez, pour posséder la terre et pour ester en jugement, il fallait être chevalier. romantisme ! oiseau bleu !…

Et remarquez que d’un autre côté la chevalerie était une institution égalitaire, qui servait de contre-poids aux distinctions de la hiérarchie féodale. Point de grades dans la chevalerie ; ducs, marquis ou vavasseurs étaient tous chevaliers au même degré, tel châtelain qui avait ceint le baudrier avait le pas sur un fils de roi qui n’était qu’écuyer. Pourquoi ? Parce que, grands ou petits, tous les tenanciers représentaient la justice armée. Et pourquoi les cérémonies de l’ordination sont-elles le symbole d’une nouvelle naissance ? Parce que le mineur émancipé, qui devient apte à faire et à recevoir l’hommage, naît à une vie nouvelle, à la vie civile et politique, à la vie de l’honneur. Il est sorti de sa chambre enveloppé d’une tunique brune, couleur de terre, qui lui bat les talons. Tout à l’heure, après le bain, il revêtira la robe blanche et le manteau d’écarlate. L’homme naturel est mort et fait place au justicier, — et son épée, désormais instrument de justice, va lui être remise, consacrée par la religion, épée à deux tranchans, afin qu’il puisse,