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— J’en connais de plus fous, lui répondis-je, mais qui ne sont pas si romantiques.

— Je suis un vrai chevalier, répliqua-t-il en ricanant. Ma volonté est ma Nicolette, et en enfer veux-je aller, pourvu que j’aie ma très douce amie avec moi… Voyez si je ne profite pas à votre école. Et il ajouta : — Ce serait grand dommage qu’un aussi joli garçon que vous se mît à déraisonner. Ne savez-vous pas que la vie est une partie d’échecs ?

— Je souhaite, lui dis-je, que vous perdiez partie, revanche et le tout.

— Épargnez-moi vos bons souhaits et faites ce que je vais vous dire. Pendant que je me promènerai au clair de la lune, vous irez chez moi, et, ne me trouvant pas, vous demanderez à m’attendre. On vous introduira dans un grand salon. Là vous ferez vos observations, et nous verrons si vous êtes fort sur le diagnostic. Alerte ! ouvrez bien vos yeux.

— Savez-vous, lui dis-je, que vous avez une façon de disposer de moi…

You are a troublesome fellow, fit-il en frappant du pied. Que de simagrées ! Voulez-vous ou ne voulez-vous pas ?

— Eh ! morbleu, je veux bien, répondis-je.

Il me donna une poignée de main et s’en alla en se dandinant.

Il couvrait mal son jeu ; mais je ne laissai pas de faire ce qu’il désirait, et vingt minutes plus tard je me trouvais assis au coin d’un sopha, dans un très grand salon dont une partie était éclairée par la faible lueur d’une petite lampe, tandis que la fenêtre du côté opposé laissait pénétrer un pâle rayon de lune qui dessinait une bande bleuâtre sur le parquet. Près de la lampe, au milieu d’une moisson de verveines répandues en désordre, se tenait Georgette, accroupie comme la veille sur un carreau de velours. Derrière elle, rencognée dans une embrasure, la négresse endormie laissait pendre sa grosse tête sur sa poitrine. Naïda et Dudu dormaient aussi enveloppées dans de riches peignoirs à dentelle. Elles étaient étendues de leur long sur deux coussins placés l’un à droite de Georgette, l’autre à gauche, et semblaient, même en dormant, faire la garde autour de leur jeune maîtresse. Georgette ne disait rien, je ne soufflais le mot non plus, et le silence n’était interrompu que par de longs soupirs de la négresse, qui faisait peut-être un mauvais rêve. J’avais pris un livre par contenance et je le feuilletais ; mais, sur quelque page que s’arrêtassent mes yeux, j’y lisais toujours la même histoire qui commençait ainsi : « Il y avait une fois une jeune fille belle comme le jour et vraiment singulière qui était tombée aux mains d’un riche baronnet sans préjugés ; on ne sait vraiment ce qui