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triche et des Tudors. Tous les moyens d’agrandissement, jusqu’aux plus détestables, avaient leur méthode : c’était une gloire de les pratiquer sans scrupule et sans pitié. Si cette émulation de perfidie pouvait être justifiée, elle trouverait son excuse dans ce fait, que la grandeur personnelle du souverain devenait littéralement celle de l’état. Au sortir des entraves féodales où ils s’étaient atrophiés, les peuples, sans notion de leurs droits, sans activité qui leur fût propre, étaient comme ces êtres rudimentaires dont les membres ne sont pas encore articulés. Le principe vital chez eux, l’unique force d’impulsion, les seuls yeux ouverts, résidaient alors dans l’organe central : il passa donc dans les instincts de la royauté d’entreprendre sans cesse autour d’elle, de s’assimiler autant qu’elle pouvait saisir, d’anéantir ce qui la gênait. Deux êtres de ce genre en contact, à moins qu’ils ne s’intimidassent réciproquement, c’était la lutte. Les inquiétudes et la défiance devenant l’état normal, on a été amené à réduire toute la science des relations extérieures à la maxime que voici : « quiconque par la supériorité de ses forces et par sa position géographique peut nous faire du mal est notre ennemi naturel; quiconque ne peut nous faire du mal, et peut, par la mesure de ses forces et par la position où il est, nuire à notre ennemi, est notre ami naturel. » Ainsi parle le plus récent historien du droit public et l’un des plus éclairés assurément, M. de Garden. L’axiome qu’il formule est resté le principal mobile de la diplomatie. Cela montre que la royauté, malgré les changemens qui ont tempéré son principe absolu, n’est pas encore dégagée complètement des influences de son origine.

Des hasards favorables, exploités avec énergie et persévérance, mirent en relief une famille souveraine, la maison d’Autriche. Il y eut un moment où son ambition devint si forcenée, elle fut si bien servie par le succès, qu’on lui attribua le dessein d’assujettir toutes les autres couronnes. Un rapprochement spontané et instinctif des souverains fit contre-poids à cet excès de puissance. La vigueur militaire de Henri IV et le génie de Richelieu posèrent les bases d’un nouveau droit public dont le traité de Westphalie fut le code. Par la prépondérance acquise à la France dans ces transactions se trouva préparée la grandeur de Louis XIV, lequel fut soupçonné à son tour de prétendre, sinon à la monarchie universelle, au moins à une autocratie humiliante pour les autres souverains. On retourna contre le grand roi ce système d’alliances et de guerre collective que Richelieu avait dirigé contre la maison d’Autriche, et la puissance de la maison de Bourbon fut ramenée dans ses précédentes limites. Ces grands exemples attirèrent l’attention des hommes d’état, et du travail qui se fit dans les esprits pour en trouver la synthèse